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"passe ton bac d'abord ", cours 2° : utopie, dystopie, uchronie.

Objet d’étude : Les genres de l’argumentation  

1-Petite histoire de l’argumentation

2- Les genres de l’argumentation

3- L’art d’analyser un texte argumentatif

4- Le vocabulaire de l’argumentation

5- Cours Utopie, Dystopie, Uchronie

6- Mouvement : Les Lumières

7- Lectures analytiques:

  • Voltaire, Candide , Eldorado (XVIII°)
  • Voltaire, De l’horrible danger de la lecture (XVIII°)
  • Montesquieu, Lettres persanes , Les Troglodytes (XVIII°)
  • Hugo, Paris-Guide, XIX°
  • Roth, Le Complot contre l’Amérique , 2004

8- Œuvre cursive  : C. MacCarthy, La Route , 2008

9- Documents complémentaires

10- Histoire des Arts  : Fard de David Alapont et Luis Briceno (2009)

11. Dystopies au cinéma

12-   Entrainement EAF

13- Quiz argu

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DEFINITIONS   : Utopie, dystopie, uchronie

C’est à Thomas More que l’on doit le mot « Utopia » , construit à partir du grec ou : « non, ne…pas » et topos, « région, lieu ». L’utopie est donc   ce qui n’est nulle part. Le pays de nulle part. Ce qui n’est « en aucun lieu ».  

Au XVIII° , l’utopie désigne un gouvernement imaginaire. Au XIX°, elle va désigner un projet politique ou social qui ne tient pas compte de la réalité .

Et aujourd’hui, l’utopie désigne un projet irréalisable

Puis le genre va se diversifier et naitront les dystopies (du grec dus , exprimant une idée de difficulté, de trouble et des contre-utopies…

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Thomas More (1478-1535)     est un juriste, historien, philosophe, humaniste, théologien et homme politique anglais.  Grand ami d’Érasme, érudit, philanthrope, il participa pleinement au renouveau de la pensée qui caractérise cette époque, ainsi qu’à l’humanisme , dont il fut le plus illustre représentant anglais. Thomas More est aussi connu pour son essai politique et social    Utopia (L’Utopie). Celui-ci n’est toutefois qu’un élément d’une œuvre écrite considérable : traductions du grec, épigrammes latines, poésies, traités, mais aussi des ouvrages qui témoignent d’une spiritualité profonde. (D’après Wikipédia)

Thomas More, Utopia, 1516  

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Chaque maison a deux portes, celle de devant donnant sur la rue, celle de derrière sur le jardin. Elles s’ouvrent d’une poussée de main, et se referment de même, laissant entrer le premier venu. Il n’est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en effet changent d’habitants, par tirage au sort, tous les dix ans. Les Utopiens entretiennent admirablement leurs jardins, où ils cultivent des plants de vigne, des fruits, des légumes et des fleurs d’un tel éclat, d’une telle beauté que nulle part ailleurs je n’ai vu pareille abondance, pareille harmonie. Leur zèle est stimulé par le plaisir qu’ils en retirent et aussi par l’émulation, les différents quartiers luttant à l’envi à qui aura le jardin le mieux soigné. Vraiment, on concevrait difficilement, dans toute une cité, une occupation mieux faite pour donner à la fois du profit et de la joie aux citoyens et, visiblement, le fondateur n’a apporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu’à ces jardins. 
  Quelques exemples d’utopies :
Leonard de Vinci (1452-1519) 

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” Et sache que si quelqu’un voulait parcourir la ville en utilisant uniquement les rues hautes, il pourrait le faire commodément ; et de même celui qui voudrait ne prendre que les basses. Dans les rues hautes ne doivent passer ni chariots, ni autres véhicules semblables : ces rues ne servent qu’aux personnes de qualité. Dans les rues basses passeront les chariots et autres transports destinés à l’usage et aux commodités du peuple. “

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    Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain , 1794.

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” Il arrivera donc, ce moment où le soleil n’éclairera plus, sur la terre, que des hommes libres, et ne reconnaissant d’autre maître que leur raison ; où les tyrans et les esclaves, les prêtres et leurs stupides ou hypocrites instruments n’existeront plus que dans l’histoire ou sur les théâtres. “

Jonathan SWIFT, Les Voyages de Gulliver , 1726.

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Enseigner les mathématiques
 De là nous entrâmes dans l’école de mathématiques, dont le maître se servait pour instruire ses disciples d’une méthode que les Européens auront de la peine à s’imaginer : chaque démonstration était écrite sur du pain à chanter, avec une certaine encre de teinture céphalique. L’écolier à jeun avalait ce pain à chanter, et pendant trois jours, il ne prenait qu’un peu de pain et d’eau. Pendant la digestion du pain à chanter, la teinture céphalique montait au cerveau et y portait la proposition. Cependant, cette méthode n’avait pas eu beaucoup de succès jusque-là ; mais c’était, disait-on, parce que l’on s’était trompé quelque peu dans le quantum satis, c’est-à-dire dans les doses de la composition, ; ou parce que les écoliers, malins et indociles, au lieu d’avaler le bolus, qui leur semblait nauséabond, le jetaient de côté ; ou, s’ils le prenaient, ils le rendaient avant qu’il eût pu faire son effet ; ou bien enfin parce qu’ils ne pouvaient s’astreindre à l’abstinence prescrite.

Une adaptation très…libre du roman de Swift

Du grec dun, « difficulté, trouble ». Il signifie une société troublée et dominée par une idéologie totalitaire.

La dystopie désigne ce qui n’est plus à sa place.

C’est un récit de fiction qui décrit une société où le bonheur est impossible. Il s’agit souvent d’un monde régi par un pouvoir  dictatorial ,  totalitaire qui prive les citoyens de leur liberté.

La dystopie montre parfois un monde  post-apocalyptique , comme dans La Route de C. McCarthy. 

La dystopie cherche à faire réfléchir le lecteur  sur certaines menaces qui pèsent sur la société à l’époque où il vit. 

Le héros d’une dystopie est celui qui refuse le système et qui se révolte contre lui. Sans nécessairement gagner…

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  Quelques exemples de dystopies :

  huxley (1894 – 1963), le meilleur des mondes , 1932.

Cette dystopie décrit un monde administré par un État mondial dans lequel tout est   contrôlé. L’homme est créé en laboratoire et la génétique est utilisée pour contrôler l’individu. Chacun appartient, selon ses capacités, à une caste particulière…

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. II suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.  

  R. Barjavel (1911 – 1985), Ravage, 1943

Le roman  se passe en 2052, dans un Paris dont la population est dominée et dépendante des machines et de la technologie. Mais un jour, une panne d’électricité vient paralyser le monde. 

Un homme part alors pour la Provence pour créer une nouvelle société, libérée des machines, vivant du travail de la terre …

L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter.

Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie ! Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. II est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires du bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau. Il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu.

Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif. Il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir. »

Aldous Huxley – 1939

  G. Orwell (1903 – 1950), 1984

Ecrit en 1948, le roman 1984 ,   se passe à Londres en 1984, comme l’indique le titre du roman.

Le monde, depuis les grandes guerres nucléaires des années 1950, est divisé en trois grands « blocs » : l’Océania (Amériques, îles de l’Atlantique, comprenant notamment les îles Anglo-Celtes, Océanie et Afrique australe), l’Eurasia (reste de l’Europe et URSS) et l’ Estasia  (Chine et ses contrées méridionales, îles du Japon, et une portion importante mais variable de la Mongolie, de la Mandchourie et du Tibet 5 ) qui sont en guerre perpétuelle les uns contre les autres. Ces trois grandes puissances sont dirigées par différents régimes totalitaires revendiqués comme tels, et s’appuyant sur des idéologies nommées différemment mais fondamentalement similaires : l’Angsoc (ou « socialisme anglais ») pour l’Océania, le « néo-bolchévisme » pour l’Eurasia et le « culte de la mort » (ou « oblitération du moi ») pour l’Estasia. Tous ces partis sont présentés comme communistes avant leur montée au pouvoir, jusqu’à ce qu’ils deviennent des régimes totalitaires et relèguent les prolétaires qu’ils prétendaient défendre au bas de la pyramide sociale. À côté de ces trois blocs subsiste une sorte de « Quart-monde », dont le territoire ressemble approximativement à un parallélogramme ayant pour sommets Tanger, Brazzaville, Darwin et Hong Kong. C’est le contrôle de ce territoire, ainsi que celui de l’Antarctique, qui justifie officiellement la guerre perpétuelle entre les trois blocs.

 (Source Wikipedia)

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 Michel Houellebecq (Né en 1956), Soumission

Un parti musulman remporte la présidentielle contre le Front national… Le Front national de Marine Le Pen, qui a déjà perdu le scrutin de 2017, subit la loi d’une alliance UMP, UDI, PS, associée à la Fraternité musulmane, parti inventé par l’auteur. Son leader, Mohammed Ben Abbes, finit par être élu et choisit François Bayrou comme premier ministre.

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Du grec ou, « ne pas », et du terme chronie, « le temps ». Il signifie « un lieu où plus rien n’arrive d’imprévu, d’anormal ». Il décrit un temps révolu ou non encore avenu.

Quelques exemples d’Uchronies

   Le Maître du haut château de Philip K. Dick (1962)   

Les Américains perdent la guerre dès l’attaque de Pearl Harbor en 1941. Les Japonais et les Allemands se partagent donc la domination du monde. Mais une étrange rumeur se propage selon laquelle, « Le maître du haut château », un personnage étrange aurait écrit un livre dans lequel les Alliés auraient gagné la guerre.

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  Philip Roth, écrivain américain   Le Complot contre l’Amérique (2004),

Il imagine que le grand aviateur Charles Lindbergh est un sympathisant nazi, qui parvient à battre Roosevelt  aux élections de 1941. Il va plonger les États-Unis dans un régime totalitaire fasciste.   

Texte 1 : Voltaire (1694 – 1778), Candide, L’Eldorado, ch. XVIII

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François-Marie Arouet (Voltaire) est issu d’un milieu bourgeois, son père était notaire.

Il fait de brillantes études. Une altercation avec le chevalier Rohan-Chabot le conduit à la Bastille, puis le contraint à un exil de trois ans en Angleterre. Il y découvre une nation ou la liberté d’expression est plus grande et le système politique plus représentatif. Il ne l’oubliera pas. Il s’engagera dans une philosophie réformatrice de la justice et de la société .

De retour en France, Voltaire poursuit sa carrière littéraire et s’applique à dénoncer les travers de son temps pour transformer la société. Dans les Lettres philosophiques (1734), il critique la guerre, les dogmes chrétiens et le régime politique en France, basé sur le droit divin.

Son conte, Zadig , l’oblige à s’exiler à Potsdam sur l’invitation de Frédéric II de Prusse, puis à Genève. Voltaire s’installe définitivement à Ferney , près de la frontière Suisse, où il reçoit toute l’élite intellectuelle de l’époque tout en ayant une production littéraire abondante.

En 1759, Voltaire publie Candide .Il l’appelle une « coïonnerie » et n’imagine pas que cette œuvre sera sans contexte l’une des plus connues du XVIII° !

 S’indignant devant l’intolérance, les guerres et les injustices qui pèsent sur l’humanité, il y dénonce la pensée providentialiste et la métaphysique de Leibniz.

Il combat inlassablement pour la liberté, la justice et le triomphe de la raison (affaires Calas, Sirven, chevalier de la Barre…).

En 1778, il retourne enfin à Paris et meurt peu de temps après.

Esprit universel ayant marqué le siècle des “ Lumières “, défenseur acharné de la liberté individuelle et de la tolérance, Voltaire laisse une oeuvre considérable.   

Texte : Candide, ch. Eldorado

Candide, L’Eldorado

Eldorado incarne l’âge d’or, un lieu séduisant et idyllique. On y refuse le gain et donc la cupidité. L’organisation sociale est harmonieuse, fondée sur le communautarisme : pourtant cela reste qu’une vision idéalisée d’une société impossible. 


Candide et Cacambo qui ont fui les jésuites au Paraguay, sont épuisés et égarés. Ils se laissent porter par le courant d’un fleuve et arrivent par hasard au pays de L’Eldorado …

Candide et Cacambo montent en carrosse ; les six moutons volaient, et en moins de quatre heures on arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingt pieds de haut, et de cent de large ; il est impossible d’exprimer quelle en était la matière. On voit assez quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries. Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d’un tissu de duvet de colibri ; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l’appartement de Sa Majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l’usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier com- ment il fallait s’y prendre pour saluer Sa Majesté : si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle ; en un mot, quelle était la cérémonie. « L’usage, dit le grand officier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. » Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper. En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu’aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles de liqueurs de canne de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du gérofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on ne plaidait jamais. Il s’informa s’il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’expériences de physiques.
Texte 2 : Voltaire, De l’horrible danger de la lecture, 1765
Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti [1] du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction. Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte [2] vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis [3] et imans de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser [4] ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées. 1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. 2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine. 3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place. 4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance. 5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes. 6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence. À ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité [5] quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime-Porte. Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l’Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira. Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’hégire [6] .
  • [1] mouphti = chef suprême de la religion ottomane
  • [2] Sublime Porte = empire ottoman
  • [3] cadi = juge
  • [4] Bannir, interdire
  • [5] officialité = tribunal ecclésiastique français correspondant au diocèse sous la direction d’un évêque
  • [6] hégire = début de l’ère musulmane (an 622 de l’ère chrétienne)

  Prolongements :

L’autodafé…une manie  très ancienne de tous les pouvoirs !

nom masculin

  • Cérémonie où des hérétiques étaient condamnés au supplice du feu par l’Inquisition.
  • Action de détruire par le feu. Un autodafé de livres.
Autodafé et religion

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« Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler ».

Voltaire, Candide , Chapitre VI

 FAHRENHEIT 451
  • Fahrenheit 451 , Bradbury en 1953
  • Version filmique de Truffaut en 1966.


Ray Bradbury , né en 1920, est l’écrivain de science-fiction le plus connu au monde. Ses romans et ses nouvelles ont été lus à des millions d’exemplaires dans presque toutes les langues de la planète. Passionné par l’image, il est aussi l’auteur de plusieurs scénarios pour le cinéma, dont celui de Moby Dick (John Huston), et a adapté nombre de ses récits pour la scène et la télévision.

Fahrenheit 451 se situe dans un état totalitaire, dans un futur indéterminé, où les livres considérés comme dangereux, sont interdits et brûlés. Le titre du roman fait d’ailleurs référence à une température en degrés Fahrenheit, qui selon l’auteur est celle où le papier s’enflamme et se consume (451 degrés Fahrenheit, soit environ 232,7 degrés Celsius).

Ce sont les pompiers qui se chargent des autodafés, dont le héros du roman, Guy Montag est un des pompiers les plus chevronnés de sa compagnie. Mais un jour, Montag   se met à en lire, refuse le bonheur obligatoire et rêve d’un monde perdu où la littérature et l’imaginaire ne seraient pas bannis. Devenant du coup un dangereux criminel…

“Dans la science-fiction, on rêve” , avait dit Bradbury au  New York Times .  “Dans le but de coloniser l’espace, de remodeler nos villes (…), de résoudre tout un nombre de problèmes, nous devons imaginer l’avenir, y compris les nouvelles technologies dont nous avons besoin.”  Mais il n’était pas qu’un poète du futur :   “la science-fiction, c’est aussi un bon moyen de prétendre écrire sur le futur alors qu’en réalité on attaque le passé récent et le présent.”

“Il a été le premier écrivain à représenter la science et la technologie à la fois comme une bénédiction et une abomination”,  a rappelé le  New York Times . 

  Les nazis et les livres :

Le 10 mai 1933, les ouvrages des plus grandes figures intellectuelles germanophones du XXe siècle partaient en fumée dans toute l’Allemagne. Adolf Hitler était au pouvoir depuis moins de quatre mois. Ces autodafés marquaient la “décapitation intellectuelle” du pays.

20.000 livres brûlés à Berlin

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Face à l’une des plus prestigieuses facultés allemandes, l’Université Humboldt, 20.000 livres furent brûlés le 10 mai 1933. Ce soir-là, vers 23h, des ouvrages de Sigmund Freud, Heinrich Mann, Karl Marx, Kurt Tucholsky, entre autres, y furent réduits en cendres. Cet autodafé de livres  se répéta dans 20 autres villes du pays

  L ’ Etat islamique et les livres …

Courant janvier 2003, des combattants de l’État islamique auraient pris possession de la Bibliothèque centrale de Mossoul en Irak, pour en brûler près de 2 000 livres jugés impies. 

La culture a encore une fois fait les frais de l’intolérance et du fanatisme des intégristes de l’État islamique à Mossoul, le deuxième ville d’Irak. Courant janvier, des militants de l’organisation terroriste auraient pris possession de la Bibliothèque centrale de la ville, l’une des plus riches du pays, pour en brûler quelque 2 000 livres  selon l’Associated Press . Science, philosophie, médecine, cartes, journaux, livres pour enfants, poésie… Les jihadistes n’ont épargné aucun domaine.

Des documents datant de l’Empire ottoman réduits en cendres

“Ces livres promeuvent l’infidélité et appellent à la désobéissance à Allah. Ils doivent donc brûler” , aurait déclaré l’un d’entre eux à la foule selon un témoin parlant sous réserve d’anonymat. Une collection de journaux irakiens datant du début du XXe siècle, des cartes et des livres datant de l’Empire ottoman auraient notamment péri dans les flammes. Les fanatiques ne se sont pas arrêtés là : quelques jours plus tard selon l’Associated Press, ils ont fait irruption dans la bibliothèque de l’Université de Mossoul et se sont saisis de centaines d’ouvrages, qu’ils ont brûlé devant les étudiants.

D’après un professeur d’histoire de l’Université de Mossoul qui a également souhaité rester anonyme par peur des représailles, les jihadistes ont saccagé de nombreuses bibliothèques ces derniers temps : les archives de la bibliothèque sunnite, la bibliothèque – vieille de 265 ans – de l’Église latine, le monastère des pères dominicains et la bibliothèque du Musée de Mossoul – contenant des documents datant de 5 000 ans avant J.-C. – auraient été attaqués.

Désormais, là où règne l’État islamique, le fait de cacher un livre jugé impie est passible d’une condamnation à mort. Selon le législateur Hakim al-Zamili, l’État islamique  “considère la culture et la science comme ses pires ennemis” .

Autodafés en tous genres… (Il en manque beaucoup…)

  • 240 av J.-C : l’empereur chinois Tsin Che Hoang fait détruire tous les livres de sciences et d’histoire.
  • 48 av J.-C : premier incendie de la bibliothèque d’alexandrie par Jules Cesar.
  • 54 ap J.-C : Saint Paul fait un autodafé à Ephèse de tous les livres qui traite de “choses curieuses”.
  • 3ème siecle: les empereurs chrétiens d’occident , en gigantesques autodafés, brulent et détruisent les merveilles du monde antique, dont le temple de Diane à Ephèse, et les archives “païennes”.
  • 490: deuxième incendie de la bibliothèque d’alexandrie par les chrétiens.
  • 7ème siècle: des moines irlandais font bruler10 000 manuscrits runiques en écorces de bouleau contenant les traditions et les annales de la civilisation celtique.
  • 641: troisième incendie de la bibliothèque d’alexandrie par ordre du calife Omar
  • 789: Charlemagne , reprenant les décrets des conciles d’Arles, de Tour, de Nantes et de Tolède, interdit le cultes des arbres, des pierres, des fontaines et prescrit la destruction de tout objet ou document se rapportant au rite païen.
  • 1221: Gengis Khan brûle les livres de l’antique Djouloul, la Thèbes de l’orient.
  • 13 ème siècle: les catholiques détruisent les livres cathares.
  • 14 ème et 15 ème siècle: l’Inquisition brûle les livres hérétiques
  • 16ème siècle: les conquistadors chrétiens et l’évêque Diego de Landa détruisent la quasi-totalité des livres sacrés méxicains. Les livres de Garcilaso de La Vega sont Brûlés par l’inquisition.
  • 1566: Le vice roi du Pérou, francisco Toledo, détruit un stock immense d’étoffes incas et de tablettes peintes où figurés l’hisoire ancienne de l’amerique.
  • 18ème siécle: le pére Sicard dans le port d’Ouardan en Egypte fait brûler ” un colombier de papyrus à caractères magiques”.
  • 1709: L’Inquisition brûle les documents scientifiques de Gusmâo à Lisbonne…
  Texte 3 : Montesquieu, Les Lettres persanes , Lett re 12


MONTESQUIEU

Philosophe français (1689-1755), conseiller au parlement de Bordeaux. Son oeuvre est variée. On retiendra    De l’Esprit des Lois , ouvrage politique mais aussi  Les Lettres persanes , roman épistolaire qui regarde la société française sous l’œil naif et satirique de deux persans.  Homme des Lumières qui en incarne l’esprit, il se passionne pour les sciences, la politique et la philosophie.  

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Les Lettres persanes

Publiées anonymement à Amsterdam en 1721 , Les Lettres persanes suivent une double mode : celle de l’Orient et celle du roman par lettres (Epistolaire).

Les Lettres permettent une réflexion philosophique sur la relativité des coutumes et la recherche d’un ordre universel bâti sur la raison.

Deux Persans, Usbek et Rica , entreprennent un long voyage entre 1712 et 1720 , qui les conduit d’Ispahan (Perse) à Paris. Ils écrivent à ceux restés en Perse et reçoivent eux-mêmes des lettres. Ainsi la forme épistolaire par l’échange des lettres multiplie les points de vue, relativise les jugements émis par les personnages ET permet à Montesquieu (1689-1755) d’unir la fiction romanesque et la satire des mœurs et des institutions de son temps . . On a souvent au XVIII°, ce regard naïf d’un étranger (cf.Candide)

Le “regard persan” favorise ainsi l’ironie à l’égard de coutumes décrites d’un autre point de vue , le vocabulaire persan appliqué à des valeurs occidentales ridiculise leur ethnocentrisme. A la surprise manifestée par les Persans répond d’ailleurs un autre étonnement : celui des Parisiens, condensé par la formule célèbre de la lettre XXX « Comment peut-on être Persan ? »

Avant d’arriver à Paris, alors qu’ils se trouvent encore à Erzurum dans l’empire ottoman, nos deux Persans sont informés par l’intermédiaire de Mirza d’un débat qui partage la cour d’Ispahan en Perse.

Il s’agit de savoir quelle est la condition principale du bonheur dans une société : est-ce la satisfaction des besoins ou la pratique de la vertu qui peut garantir l’harmonie et le bonheur collectifs ? Dans les lettres XI et XII, Usbek répond à cette question, non par une démonstration abstraite, mais à travers un apologue qui veut à la fois « persuader » et « toucher » son lecteur : le mythe des troglodytes. La lettre XI raconte comment les Troglodytes menant une vie égoïste, seulement soucieux de leurs intérêts particuliers, conduisent leur société à la guerre et à la ruine. Dans la lettre XII, dont notre texte présente les premiers paragraphes, Usbek montre comment quelques Troglodytes qui ont survécu à la catastrophe reconstruisent une nouvelle société garantissant le bonheur de tous et de chacun.

Usbek au même, à Ispahan

Tu as vu, mon cher Mirza, comment les Troglodytes périrent par leur méchanceté même, et furent les victimes de leurs propres injustices. De tant de familles, il n’en resta que deux qui échappèrent aux malheurs de la Nation. Il y avait dans ce pays deux hommes bien singuliers : ils avaient de l’humanité ; ils connaissaient la justice ; ils aimaient la vertu. Autant liés par la droiture de leur cœur que par la corruption de celui des autres, ils voyaient la désolation générale, et ne la ressentaient que par la pitié : c’était le motif d’une union nouvelle. Ils travaillaient avec une sollicitude commune pour l’intérêt commun ; ils n’avaient de différends que ceux qu’une douce et tendre amitié faisait naître ; et, dans l’endroit du pays le plus écarté, séparés de leurs compatriotes indignes de leur présence, ils menaient une vie heureuse et tranquille. La terre semblait produire d’elle-même, cultivée par ces vertueuses mains. Ils aimaient leurs femmes, et ils en étaient tendrement chéris. Toute leur attention était d’élever leurs enfants à la vertu. Ils leur représentaient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes et leur mettaient devant les yeux cet exemple si triste ; ils leur faisaient surtout sentir que l’intérêt des particuliers se trouve toujours dans l’intérêt commun ; que vouloir s’en séparer, c’est vouloir se perdre ; que la vertu n’est point une chose qui doive nous coûter ; qu’il ne faut point la regarder comme un exercice pénible ; et que la justice pour autrui est une charité pour nous. Ils eurent bientôt la consolation des pères vertueux, qui est d’avoir des enfants qui leur ressemblent. Le jeune peuple qui s’éleva sous leurs yeux s’accrut par d’heureux mariages : le nombre augmenta, l’union fut toujours la même ; et la vertu, bien loin de s’affaiblir dans la multitude, fut fortifiée, au contraire, par un plus grand nombre d’exemples. Qui pourrait représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? Un peuple si juste devait être chéri des dieux. Dès qu’il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre, et la religion vint adoucir dans les mœurs ce que la nature y avait laissé de trop rude. Ils instituèrent des fêtes en l’honneur des dieux : les jeunes filles ornées de fleurs, et les jeunes garçons les célébraient par leurs danses et par les accords d’une musique champêtre. On faisait ensuite des festins où la joie ne régnait pas moins que la frugalité. C’était dans ces assemblées que parlait la nature naïve ; c’est là qu’on apprenait à donner le cœur et à le recevoir ; c’est là que la pudeur virginale faisait en rougissant un aveu surpris, mais bientôt confirmé par le consentement des pères ; et c’est là que les tendres mères se plaisaient à prévoir de loin une union douce et fidèle. On allait au temple pour demander les faveurs des dieux ; ce n’était pas les richesses et une onéreuse abondance : de pareils souhaits étaient indignes des heureux Troglodytes; ils ne savaient les désirer que pour leurs compatriotes. Ils n’étaient au pied des autels que pour demander la santé de leurs pères, l’union de leurs frères, la tendresse de leurs femmes, l’amour et l’obéissance de leurs enfants. Les filles y venaient apporter le tendre sacrifice de leur cœur, et ne leur demandaient d’autre grâce que celle de pouvoir rendre un Troglodyte heureux. Le soir, lorsque les troupeaux quittaient les prairies, et que les bœufs fatigués avaient ramené la charrue, ils s’assemblaient, et, dans un repas frugal, ils chantaient les injustices des premiers Troglodytes et leurs malheurs, la vertu renaissante avec un nouveau peuple, et sa félicité. Ils célébraient les grandeurs des dieux, leurs faveurs toujours présentes aux hommes qui les implorent, et leur colère inévitable à ceux qui ne les craignent pas ; ils décrivaient ensuite les délices de la vie champêtre et le bonheur d’une condition toujours parée de l’innocence. Bientôt ils s’abandonnaient à un sommeil que les soins et les chagrins n’interrompaient jamais. La nature ne fournissait pas moins à leurs désirs qu’à leurs besoins. Dans ce pays heureux, la cupidité était étrangère : ils se faisaient des présents où celui qui donnait croyait toujours avoir l’avantage. Le peuple troglodyte se regardait comme une seule famille ; les troupeaux étaient presque toujours confondus ; la seule peine qu’on s’épargnait ordinairement, c’était de les partager. D’Erzeron, le 6 de la lune de Gemmadi 2 1711
Texte 4 : Victor Hugo, Paris-guide de l’exposition universelle de 1869, Paris, 1867 – Chapitre I “L’Avenir”.

Victor Hugo (1802-1885)

L’un des plus grands écrivains français : romancier, poète, dramaturge…. Chef de file du Romantisme, homme politique et artiste engagé qui a connu l’exil. Il est l’auteur des Misérables, de Notre-Dame de Paris, du recueil des Contemplations, De pièces comme Hernani ou Ruy Blas…

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En 1866, on sollicita Victor Hugo pour écrire une introduction à  Paris guide  (un ouvrage destiné aux visiteurs de l’Exposition universelle de 1867), il rédigea un long texte qui tient à la fois de la lettre d’amour à une Capitale mythifiée et de la profession de foi utopique.

En exil à Guernesey, l’auteur n’a pas vu Paris depuis seize ans.

Ce texte s’impose surtout comme un manifeste de la pensée politique hugolienne. C’est un hymne à la paix, à la fraternité, à l’universalité des Lumières et au progrès technique. Si Hugo, d’ailleurs, décrit le Paris de son temps, c’est avant tout pour se projeter vers l’avenir, prophétiser. Et ce qu’il prédit s’oppose totalement à la vision sombre que développe Jules Verne dans son  Paris au XXe siècle  (écrit en 1863 mais refusé par son éditeur Hetzel), d’une ville dominée par la technologie, la finance, la surveillance constante des habitants.  Hugo rêve d’une paix universelle, d’une Europe unie, d’un monde ouvert à la libre circulation, libéré des superstitions et des fanatismes religieux, dont Paris serait le phare, irradiant ses valeurs d’une humanité réconciliée jusqu’aux confins de la terre, à l’image, dans le passé, d’Athènes et de Jérusalem.  

Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité. Elle aura la gravité douce d’une aînée. (…) Elle considérera le gaspillage du sang humain comme inutile. (…) Aucune exploitation, ni des petits par les gros, ni des gros par les petits ; et partout la dignité de l’utilité de chacun sentie par tous ; l’idée de domesticité purgée de l’idée de servitude ; l’égalité sortant toute construite de l’instruction gratuite et obligatoire ; l’égout remplacé par le drainage ; le châtiment remplacé par l’enseignement ; la prison transfigurée en école ; l’ignorance, qui est la suprême indigence, abolie ; l’homme qui ne sait pas lire aussi rare que l’aveugle-né (…). La circulation décuplée ayant pour résultat la production et la consommation centuplées ; la multiplication de pains, de miracle, devenue réalité ; les cours d’eau endigués, ce qui empêchera les inondations, et empoissonnés, ce qui produira la vie à bas prix ; l’industrie engendrant l’industrie, les bras appelant les bras, l’oeuvre faite se ramifiant en innombrables oeuvres à faire, un perpétuel recommencement sorti d’un perpétuel achèvement, et, en tout lieu, à toute heure, sous la hache féconde du progrès, l’admirable renaissance des têtes de l’hydre sainte du travail. Pour guerre l’émulation. L’émeute des intelligences vers l’aurore. L’impatience du bien gourmandant les lenteurs et les timidités. Toute autre colère disparue. Un peuple fouillant les flancs de la nuit et opérant, au profit du genre humain, une immense extraction de clarté. Voilà quelle sera cette nation. Cette nation aura pour capitale Paris, et ne s’appellera point la France ; elle s’appellera l’Europe. Elle s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera l’Humanité. Victor Hugo, Introduction au Paris-guide de l’Exposition universelle de 1867 , Librairie internationale, ch I, “L’Avenir”.
  Travail d’écriture (Invention)

Sujet d’invention :

Dans une lettre ouverte (argumentation directe) d’une quarantaine de lignes au minimum, répondre à Hugo et lui rapporter en quoi le siècle et demi écoulé n’a pas toujours ressemblé à ce qu’il espérait…

Contrat d’écriture

  • Respecter les caractéristiques du genre de la lettre (prise en compte du destinataire)
  • Rappeler d’abord deux ou trois grandes idées de V. Hugo puis donner des exemples précis pour décrire les événements qui sont venus contredire ce qu’il avait imaginé ; 

  • Employer un langage soutenu puisque l’on s’adresse à l’un des plus grands écrivains français ! 

  Texte 5 :  Philippe Roth, Le Complot contre l’Amérique , 2004

Philippe Roth , 1933 -2018 est l’un des plus grands écrivains américains.   

Petit-fils d’immigrés juifs,   arrivés aux États-Unis au tournant du XXe siècle, il grandit dans le quartier de la petite classe moyenne juive de Newark. Après des études à l’université, il y enseigne les lettres, puis la composition à l’université de l’Iowa jusqu’au début des années 1960. Il reprendra ses activités d’enseignant de manière intermittente jusqu’en 1992. Il a publié 26 romans. En 1970 il obtient une célébrité phénoménale et crée le scandale avec “Portnoy et son complexe” (Portnoy’s Complaint, 1969), longue confession de son héros, aux prises avec sa judéité et ses pulsions sexuelles. Le personnage réapparaît dans nombre de ses œuvres.   Dans sa trilogie américaine: “Pastorale américaine” (American Pastoral, 1997), “J’ai épousé un communiste” (I Married a Communist, 1998) et “La Tache” (The Human Stain, 2000), il opère une démythification de l’American dream, et fustige le politiquement correct ambiant.

En 2004, Le Complot contre l’Amérique, puis”Le Rabaissement” (The Humbling, 2009) est porté sur grand écran en 2014 par Barry Levinson En octobre 2012, il annonce, lors d’un entretien qu’il arrête l’écriture et que “Némésis” (2010) restera son dernier roman.

« Il faut passer par la stupidité pour ne pas être un con »

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  HISTOIRE DES ARTS

de David Alapont et Luis Briceno (2009)

Par Marie-Pierre Lafargue, intervenante cinéma en milieu scolaire

Dans un univers totalitaire déshumanisé où les relations sont dominées par les nouvelles technologies, Oscar est l’un des rouages dociles d’un monde technologique sans heurt ni affect. Quand son collègue et ami Martin lui confie la garde d’un mystérieux objet venu du passé, la vie d’Oscar bascule, entraînant la violence et le chaos. C’est une lampe torche qui, en effaçant la couche de matière qui recouvre et uniformise les hommes et le décor, en révèle les aspérités, les couleurs, les cicatrices du temps. Le récit, nerveux et épuré, est celui d’une prise de conscience.

Fard est un film d’animation sorti au cinéma dans le programme de courts métrages Logorama and co (2011) condensant la plupart des motifs et thèmes d’une dystopie classique.

Il a reçu le prix du Meilleur Film d’Animation francophone SACD 2010.   

Fard est directement inspiré du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932) et de 1984 de George Orwell (1948).

Séquence 1  : dans un plan en caméra à l’épaule, un homme se déplace dans un décor futuriste où les personnages semblent tous semblables.

Séquence 2  : l ’homme entre dans son bureau en open space. Au fond, un visage féminin parle aux employés sur un écran géant. L’homme allume son ordinateur, où apparaît le message de Martin (qui l’appelle Oscar), qui lui demande de prendre un paquet pour lui. Oscar ouvre le tiroir du bureau et découvre le paquet. Un homme passe derrière Oscar et le félicite pour son travail. La voix de l’écran souhaite une bonne journée aux employés.

Séquence 3  : Oscar entre dans un ascenseur et échange quelques mots avec une femme, Lisa, avant de lui prendre discrètement la main.

Séquence 4  : Oscar sort de l’ascenseur et entre chez lui avec le paquet. Il écoute ses messages. Martin, l’air effrayé, lui dit de cacher le paquet. Oscar ouvre le paquet et en sort une lampe de poche, l’air éberlué. Alors que tout le film est en animation, la lampe est en images réelles. Dans un plan en caméra subjective, Oscar inspecte la lampe et l’allume face à lui par inadvertance. Il jette la lampe en se tenant le visage. En contrechamp, la lampe éclaire le mur et en révèle un aspect totalement différent. Oscar se regarde dans le miroir et nous découvrons avec lui qu’une partie de son visage a changé et apparaît en images réelles. On frappe à la porte. Oscar s’empare de la lampe et se cache. 

Des hommes en noir entrent dans la pièce et découvrent la partie éclairée du mur, pendant qu’Oscar s’enfuit.

Séquence 5   : les hommes en noir partent à sa poursuite dans les escaliers. Oscar va se réfugier chez son amie. Lisa hurle en voyant le visage d’Oscar. Oscar la gifle avant de lui montrer le pouvoir de la lampe. Lisa tente de fuir mais Oscar la retient puis la fait tomber par terre, inconsciente. Il découvre son propre sang puis fait apparaître le visage réel de Lisa à la lumière de la lampe.

Séquence 6  : Martin est kidnappé par Oscar qui l’emmène dans un coin reculé et l’éclaire avec la lampe. Le haut du visage de Martin apparaît en images réelles. Oscar assomme Martin.

Séquence 7  : Martin, toujours inconscient, et Oscar, sont dans les égouts. Martin se réveille et les deux hommes se battent pour la lampe. Oscar tombe dans une cascade, inconscient. Il est ramassé par des hommes en noir.

Séquence 8  : Oscar est sur une table d’opération. Une machine recouvre les traces d’images réelles.

Séquence 9  : Oscar est à son bureau, tout est revenu à la “normale”. Il ouvre le tiroir du bureau et le découvre vide. Martin vient s’asseoir à côté de lui. Un homme le félicite pour son travail. La voix de l’écran souhaite une bonne journée aux employés.

Dossier rédigé par Cécile Giraud-Babouche, 2011

  Révélation

La lampe torche donne un nouvel éclairage au monde. Cet objet du passé fonctionne comme un témoin qui réintroduit l’humanité dans l’univers sans vie d’Oscar . Braquée contre le monde, la lampe efface la surface illusoire et ravive les couleurs et les matières. L’image en prise de vue réelle apparaît sous le dessin : Oscar découvre le bois d’une commode mais aussi sa propre chair palpitante et le véritable visage de Lisa, comme lui soumise au temps et donc vouée au vieillissement. Véritable métaphore de l’appareil cinématographique, la lampe torche , garante de la connaissance, relance le processus temporel et mémoriel et vient questionner les origines.

Dans Fard , cette prise de conscience se fait dans la douleur : sidéré par la vérité, Oscar passe par toute une gamme de sentiments extrêmes qui déforment sa figure jusqu’à la laideur. Lisa déchire la peau de son visage et le sang afflue. La vie qui macule alors ses doigts le plonge dans la stupéfaction tandis que s’em-balle le timbre jusque-là régulier et assourdi de sa voix. Mêlés aux cris de terreur de Lisa, ses grognements et onomatopées com- posent un concert chaotique, repris et amplifié lors de la lutte à mort contre Martin dans les égouts.

Le réel monte à l’assaut de l’illusion. Les croyances d’Oscar dans le travail, la technologie et le confort se fissurent et s’effondrent et son refus de remettre en question ce en quoi il croit – « ce qu’on ne voit pas n’existe pas » – le mènent à la mort.

Le film se conclut sur l’idéal totalitaire – c’est la voix robotisée qui a le dernier mot – et pose la question du libre arbitre et de l’asservissement volontaire.

Ce final sombre ouvre un immense champ de réflexions : que devient un homme quand on le prive de mémoire ? Jusqu’à quel point l’identité résiste-t-elle à l’uniformité ? Le confort et l’immortalité promis par la révolution technologique prévalent-ils sur la vérité de la condition humaine, par définition imparfaite et condamnée à la finitude ?

Les auteurs

   Luis Briceno est producteur et réalisateur. 

Il réalise ses propres films essentiellement en animation, en utilisant différentes techniques : dessin, papier découpé, animation d’objets, mélange d’images réelles et d’animation. Après Fard , il a réalisé Adieu Général en 2009 avec un téléphone portable, un film autobiographique où il raconte son enfance au Chili, pour lequel il a choisi la technique du papier découpé et du collage. Le film se rapproche du documentaire animé 

David Alapont a réalisé deux courts métrages d’animation dont Fard , qui est le plus récent.

Il a suivi des études au sein de l’ENSAD (École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs), où il réalise son film de fin d’études, L’Aiguille , en 2002, en utilisant le fusain. Parallèlement à son activité de réalisateur, il est storyboarder et illustrateur.  

La rotoscopie

Fard  utilise la technique de la rotoscopie dont le principe est de tourner avec de vrais acteurs, puis de dessiner image par image par-dessus l’image réelle. Pour une explication en images, voir la vidéo ci-contre réalisée par Charlimars.

http://www.ciclic.fr/fard-technique

ANALYSE DE SEQUENCE

De 02 min 28 à 04 min 15 (treize plans, jusqu’à l’arrivée de la police).  Au cours de cette séquence, la vie d’Oscar bascule tout comme les certitudes du spectateur de  Fard   qui croyait être devant un film d’animation traditionnel.

http://www.ciclic.fr/fard-analyse-de-sequence

  • Par quel procédé cinématographique découvre-t-on l’espace ?
  • Comment peut-on interpréter le fait qu’Arthur torne le dos au répondeur et ne regarde pas l’hologramme de ceux qui lui ont envoyé un message ?
  • En quoi le 3° message modifie-t-il la sérénité apparente du personnage ?
  • Dans le plan suivant, plus large, qu’indique selon vous le léger oscillement de la caméra ?
  • Quand Oscar ouvre la boite, comment est intensifié la curiosité du spectateur ?
  • Qu’apporte l’apparition d’un objet en image réel dans le film d’animation ?

   (en lien avec Fard)-Voir sur le site philofrancais.fr

  • Metropolis de Fritz Lang (1927) et THX 1138 de George Lucas (1971) ont servi de matrice à l’univers totalitaire imaginé par D. Alapont et L. Briceno : pesanteur des décors de la cité futuriste et mondes souterrains dans lesquels les humains sont asservis pour Metropolis ; décor minimaliste et immaculé et voix hypnotique dans THX 1138 .

Film entier  

Total Recall de Paul Verhoeven (1990)
Blade Runner de Ridley Scott (1989)
  • Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol (1997) traite également de la question de l’humanité à préserver et mobilisent les mêmes motifs : réalité cachée, confusion des identités, corps problématiques, êtres sans émotion ni conscience.

Tous ces films , et des dizaines d’autres…partagent avec Fard le thème essentiel du contrôle des individus que ce soit par un Big Brother ou un invisible « comité », une critique de l’aveuglement technolo- gique et confondent quête identitaire et quête de la vérité dans un même mouvement salutaire.

Oeuvre cursive, La route , MacCarthy, 2009

L'Utopie : caractéristiques et exemples d'œuvres utopiques

L’usage courant donne au mot « utopie » une acception très pauvre, péjorative ; c’est un synonyme de « chimère », « illusion ». Mais l’utopie est d’abord une écriture spécifique dont la portée est triple, littéraire, philosophique, politique. Elle apparaît au XVI e siècle pour se développer jusqu’au XIX e siècle inclus. Elle est par conséquent liée à l’histoire moderne et à l’humanisme. Dans ce nouveau chapitre transversal, par la présentation de quelques utopies majeures - une ayant déjà été analysée avec l’abbaye de Thélème de Rabelais (chapitre 3) - on pourra définir les caracté­ristiques de ce véritable genre littéraire, en vue de comprendre pourquoi elle est liée à la culture occidentale moderne ; mais il faut aussi s’interroger sur les raisons de son effacement au XX e siècle au profit d’un nouveau genre, la dystopie. L’utopie serait- elle devenue inenvisageable en ce début de XXI e siècle ?

Thomas More, L'Utopie ( Utopia ), 1516

L’homme thomas more (1478-1535).

Anglais, bourgeois d’origine, il fait des études de droit. D’une intel­ligence brillante, il multiplie, sans les rechercher, les promotions, les distinctions, les honneurs, jusqu’à devenir chancelier du roi de 1529 à 1532. Mais il n’accepte aucune compromission avec le pouvoir ; il démissionne de son poste de chancelier en 1532. Son double refus, le premier de paraître au sacre d’Anne Boleyn (1533), le second de reconnaître Henri VIII comme chef de l’Église anglicane, ceci pour rester fidèle à ses convictions de catholique romain, amène Henri VIII à le condamner à mort et à le faire exécuter. La postérité a souvent retenu de cette vie l’impuissance de l’intellectuel moraliste à changer le cours des choses, à infléchir l’histoire.

Car Thomas More n’est pas qu’un homme politique, c’est d’abord un humaniste et un lettré considéré comme « le frère jumeau d’Érasme ». Trente ans d’amitié réunissent ces deux érudits qui partagent la même foi en un humanisme chrétien.

More rédige d’abord, en latin, le second tome d’Utopia en 1515, semble-t-il pour meubler le temps que lui laisse une mission diplo­matique laborieuse en Flandre ; le premier tome est rédigé en 1516. Il entre beaucoup de fantaisie dans cette œuvre ; il en parle ainsi : « Une bagatelle littéraire échappée presque à mon insu de ma plume ». Il est indéniable que More s’est amusé en composant son ouvrage. Mais la fantaisie d’un récit n’exclut pas les messages les plus audacieux, elle peut au contraire se mettre au service de l’audace, ce que Marthe Robert traduit dans sa remarquable formule : « Les histoires à dormir debout sont celles qui tiennent le mieux éveillé » (Roman des origines et Origines du roman, 1972). Dans son récit, More imagine qu’un navigateur, Raphaël « Hythlodée », « celui qui aime raconter des histoires », revient d’une île où le bonheur parfait règne.

Une onomastique emblématique

Les patronymes et toponymes forgés par More présentent une unité structurelle. « Utopia », le nom de cette île, à consonance latine, est forgé sur le grec : « topos », le lieu ; « u », privatif, mais aussi variante de « eu », le bonheur : autrement dit, le lieu du bonheur parfait n’existe pas dans la réalité historique, il ne peut qu’être inventé par l’imagination. La capitale, nommée « Amaurote », est la ville fantôme ; le prince « Ademus » est un prince sans peuples ; le fleuve « Anhydris » un fleuve sans eau. Quant aux habitants, les « Alaopolites », ils sont deux fois niés comme peuple ; « lao » comme peuple tribal, « polites » comme peuple citoyen. Leurs voisins, les « Achoréens », sont des habitants sans pays. Cette onomastique de la négation définit « Utopia » comme le non-lieu, l’espace surgi de l’imaginaire. Toutefois, Amaurote, cité du brouillard, est située sur les rives d’un fleuve qui subit le mouvement de la marée : on y reconnaît bien sûr Londres ! Et Utopia est divisée en 54 parties... comme les 54 comtés de l’Angleterre du XVI e siècle. Utopia est par conséquent la réalité anglaise à l’envers : l’écriture utopique imagine un monde à l’envers pour contester le monde qui se croit à l’endroit, le monde réel.

La vie en Utopie

  • La vie urbaine dans Amaurote. Tout y est géométrique, carré. L’urbanisme se met au service du confort de la population, avec un grand souci de l’élégance et de la propreté ; les activités naturelles y sont privilégiées avec le jardinage qui est une des passions des citadins.
  • L’organisation politique. Le collectivisme régit Utopia : « Pour anéantir jusqu’à l’idée de la propriété individuelle et absolue, ils changent de maison tous les dix ans, et tirent au sort celle qui doit leur tomber en partage». Le sens communautaire fait de cette société une grande famille. L’action politique est animée par un principe unique et sacré : « travailler au bien général est religion les lois y sont justes et équitables. Le régime qui organise la vie politique peut être monarchique ou républicain, là n’est pas l’essentiel, ce sont les valeurs sur lesquelles le régime se fonde qui comptent.
  • L’organisation du travail. Par « travail », il faut comprendre les tâches nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux. L’agriculture est l’activité privilégiée, mais chaque Utopien est aussi un artisan capable de tisser, de bâtir de forger etc. Par souci d’équité et de diversité, l’alternance des tâches est systématique. Trois heures de travail le matin, trois autres l’après-midi, coupées par deux heures de repos, organisent la journée. Six heures de travail quotidien suffisent parce que tous travaillent sans exception, femmes comme hommes ; les ecclésiastiques parasites, les nobles oisifs, les mendiants paresseux n’existent pas. De plus, les besoins matériels sont limités : un vêtement de laine et un autre de lin sont perçus tous les deux ans, tout luxe inutile et frivole est banni. Aucun commerce intérieur n’existe pour éviter toute tentation d’enri­chissement personnel : le père de famille prend librement sur le « marché » les produits nécessaires pour les siens.
  • La place centrale de la culture. Le temps de loisir est important dans Utopia. Ce temps de liberté est consacré à la culture, aux activités de l’esprit. En fait, cette société passionnée de sciences et de découvertes intellectuelles est une aristocratie de la connais­sance animée par les « literati », les hommes de lettres.
  • Une morale naturaliste. La nature dicte les valeurs morales : « Ils définissent la vertu : vivre selon la nature ». Le plaisir est à la fois fin et garant de la morale : « Les Utopiens ramènent toutes nos actions et même toutes nos vertus au plaisir, comme à notre fin ». Seul le bonheur ici-bas est recherché ; la religion tient une place minime, constante de toutes les utopies, c’est une religion naturelle qui annonce le déisme du XVIII e siècle : « La raison inspire d’abord à tous les mortels l’amour et l’adoration de la majesté divine, à laquelle nous devons l’être et le bien-être ».

La portée de l’ouvrage

La société utopienne n’est parfaite qu’en apparence puisqu’on y pratique l’esclavage pour échapper aux tâches matérielles dégra­dantes, et la colonisation pour résoudre les problèmes éventuels de surpopulation. Ce lieu fictif épouvante les individualistes qui ne pourraient supporter le poids de la collectivité et de la planification qui étouffe toute initiative personnelle. Mais Thomas More ne propose pas un modèle à traduire en actes, à imiter tel quel. Cette œuvre est un jeu littéraire : les multiples fantaisies qui ponctuent l’œuvre se veulent ludiques, mais elles s’avèrent surtout subversives. Par Y Utopie, le lecteur intelligent doit prendre conscience des multiples dysfonc­tionnements et injustices qui ravagent l’Angleterre et l’Europe du XVI e siècle. Il est ensuite invité à retourner dans la réalité du monde pour se battre contre des aberrations qui sont devenues inacceptables depuis qu’elles lui ont été révélées.

L'utopie de Campanella, la Cité du Soleil , 1623

L’homme (1568-1639).

Moine bénédictin italien, doté d’une culture exceptionnelle, indépendant d’esprit, Tommaso Campanella mène une vie d’aven­tures déchirée par les nombreux procès qui lui sont intentés pour hérésie. Torturé plusieurs fois, il passe plus de 25 ans en prison. À la fin du XVI e siècle il soutient la révolte des Calabrais contre le pouvoir espagnol en dénonçant une nouvelle fois la corruption de l’Église ; arrêté, il échappe de peu à la peine de mort en feignant la folie ; condamné à la prison à vie, il est libéré en 1629, il doit encore fuir l’Italie et termine sa vie à Paris. Son œuvre est très abondante, son projet est de « réformer toutes les sciences en conformité avec la Nature et l’Écriture ». Il écrit la première version de la Cité du Soleil en 1602 : alors qu’il croupit dans un cul-de-basse-fosse il conçoit « l’idée d’une république philosophique ». Il imagine qu’un capitaine de navire génois, qui accoste à Taprobana (Ceylan) et traverse une forêt, découvre une ville érigée sur les flancs d’une colline et formée de sept cercles concentriques. L’œuvre se présente sous la forme d’un dialogue, imité de l’antiquité grecque, entre « le Génois » et un « Hospitalier ».

Heliaca, la cité du Soleil, ou le communisme intégral

Heliaca vit sous le régime de la communauté des biens et des femmes. Chaque quartier possède ses réserves et ses réfectoires qui nourrissent le peuple. Les repas sont pris en commun, les hommes d’un côté de la table, les femmes de l’autre, le service étant assuré par les jeunes gens. La famille n’existe pas : dès qu’ils sont sevrés, les enfants sont séparés de leur génitrice et sont élevés en communauté. Chacun participe au travail, quatre heures quotidiennes, pour assurer les besoins vitaux ; trois plaies sociales sont ainsi évitées : l’oisiveté, la cupidité, la misère.

L’organisation politique

  • L’exercice du pouvoir. Un chef suprême, Soleil, « Prêtre-Méta­physicien » est assisté par trois princes, Pon (Potestas) gère la guerre et la paix, Sin (Sapientia) gère les sciences et les techniques, Mor (Amor) s’occupe de l’agriculture, de la médecine, de l’organisation des rapports sexuels et de l’éducation. Cette composition tripartite est celle de la nature humaine. Les quatre dignitaires ne peuvent être révoqués, ils se démettent librement de leur charge lorsqu’ils trouvent quelqu’un qui se montre plus compétent qu’eux. Ils choisissent, pour les aider, des magistrats et des chefs de division qui se réunissent une fois par semaine avec les hommes de plus de cinquante ans pour délibérer sur les questions de la cité. Les magistrats et les chefs de division peuvent être démis de leur fonction par la volonté populaire.
  • Une république philosophique. Le peuple, incompétent, ne peut exercer le pouvoir. Le pouvoir est assuré par une aristocratie intel­lectuelle qui a reçu une éducation solide. La pédagogie est l’objet des plus grands soins, les sciences en particulier sont approchées de façon ludique et représentées sur des fresques peintes sur les murs d’enceinte ; le programme couvre tout le champ des connais­sances. Le savoir crée la compétence politique parce que, par nature, la connaissance est morale : « Notre Soleil sera toujours bien trop savant pour devenir cruel, scélérat ou tyrannique ». La compétence intellectuelle confère plus de capacité à gouverner que n’en donnent l’hérédité, la conspiration ou la violence.

La reproduction des hommes

Le principe. Les hommes manifestent jusqu’ici le souci d’amé­liorer, par l’agriculture, la qualité des plantes qu’ils cultivent, et par l’élevage, celle des animaux qu’ils utilisent. Les Solariens ne comprennent pas que jusqu’ici les hommes aient laissé au hasard la reproduction de l’espèce humaine. En vue d’améliorer la race des hommes cette reproduction est gérée par le pouvoir politique.

Une organisation scientifique. Les géniteurs sont réunis en fonction de leurs qualités. Le moment de la copulation est choisi par un astro­logue et un médecin pour mettre en harmonie l’ordre cosmique et humain. Elle fait l’objet d’un rituel quasi religieux : après s’être purifiés et avoir prié « le géniteur et la génitrice dorment dans des cellules séparées jusqu’à l’heure fixée pour le rapprochement, et à l’instant précis une matrone vient ouvrir les deux portes ». Toute idée de plaisir, d’amour, de liberté individuelle est niée par cet eugénisme.

L’idée d’une république philosophique doit beaucoup à Platon, de même que la thématique solaire fait écho au mythe de la Caverne. La raison au pouvoir condamne la force et l’arbitraire que Campanella a combattus toute sa vie au prix de sa liberté et de son intégrité physique. La Cité du Soleil est d’une rationalité absolue, comme beaucoup d’utopies : tout est prévu dans l’organisation de la vie des Solariens, jusqu’aux guerres qui sont organisées pour canaliser l’agressivité et supprimer les conflits internes.

Cette utopie, imaginée en prison, ressemble étrangement à une autre prison, celle de la raison. Curieux magistère en effet que ce magistère « Amor » qui exclut tout amour ! Campanella fait la preuve que la raison, quand elle se fait exclusive et impérative, loin d’engendrer la liberté, distille la pire barbarie. Les sociétés qui se définissent comme parfaites sont les pires des sociétés parce qu’elles excluent tout droit à la différence, et par conséquent toute liberté ; l’individu, la personne, dangers potentiels pour la communauté, sont bannis. Tous les régimes totalitaires appliquent l’un ou l’autre des principes de Campanella.

Voltaire, Le monde utopique de « l’Eldorado » dans Candide , 1759

L’eldorado, le lieu utopique par excellence.

Candide découvre l’Eldorado par hasard, en se laissant porter, durant 24 heures, par les eaux d’un fleuve souterrain. Cette rivière évoque le Styx (ou l’Achéron), qui, dans la mythologie antique fait passer du séjour des vivants aux enfers, le séjour des morts. Ainsi, l’Eldorado n’est pas de ce monde. D’ailleurs, ce lieu « bordé de montagnes inaccessibles », n’a jamais eu de contact avec le reste de l’humanité ; c’est donc un espace préservé de la souillure des hommes. En outre, lorsque Candide quitte ce lieu, les physiciens du pays lui construisent une machine volante tout à fait fantaisiste au milieu du XVIII e siècle. L’Eldorado est le lieu de nulle part, le lieu qui n’existe pas.

La place de l’épisode dans la structure de l’œuvre

Candide est constitué de 30 chapitres. l’Eldorado est développé aux chapitres 17 et 18 ; il occupe une place centrale dans le conte philosophique. Jusque là Candide, victime de l’optimisme, ne fait que fuir devant les maux de la vie réelle qu’il ne peut affronter. Candide quitte l’Eldorado parce que Cunégonde, la jeune fille qu’il aime, ne s’y trouve pas. La « perfection » de l’utopie ne convient pas à Candide, mais dorénavant il a un but ; de la fuite il passe à la quête : retrouver celle qu’il aime. L’expérience qu’il a vécue est très formatrice.

L’Eldorado, la société française à l’envers

Dans l’Eldorado, il n’y a ni cour de justice ni prison ; il existe un extraordinaire palais, mais il est dédié à la science ; le déisme, qui est la religion pratiquée, exclut tous les ordres religieux, moines comme prêtres, ce qui crée une tolérance harmonieuse entre les personnes ; le roi a banni de sa cour tout protocole, et il reçoit ses invités comme un père amical. La perfection de l’Eldorado fictif, miroir inversé du réel, met en relief les imperfections de la société française. Voltaire, en rédigeant ces deux chapitres, poursuit ses intentions polémiques, la critique des aberrations de la réalité dans laquelle il vit. L’idéal de l’Eldorado a essentiellement une fonction subversive.

Les caractéristiques de l’utopie moderne

Les utopies au XIX e siècle sont nombreuses, notamment celles qui appartiennent au courant du socialisme utopique ; elles seront étudiées plus loin (partie VI, chapitre 4).

Des « utopies » anciennes

Les Anciens imaginent des sociétés parfaites. Aristophane, grec, IV siècle avant J.-C., dans L’Assemblée des femmes, invente une société communautaire gouvernée par des femmes, mais il s’agit d’une comédie. Platon reprend le mythe des Atlantes et de l’Atlantide, île du bonheur, de même qu’il imagine sa célèbre Cité idéale ; mais ces cités doivent être replacées dans le mythe de l’âge d’or d’Hésiode : la perfection est celle des origines, le temps a opéré ses effets dévastateurs... même si Platon semble parfois appeler de ses vœux l’avènement de sa Cité.

Ovide, latin, dans ses Métamorphoses, reprend lui aussi le mythe de l’âge d’or, il chante avec poésie une humanité libre et paisible qui vit de la cueillette dans « un printemps éternel ». Pour l’essentiel, les sociétés parfaites des Anciens relèvent de la nostalgie du paradis perdu. Durant quinze siècles ensuite, on cesse d’imaginer ces commu­nautés idéales, sans doute parce que la culture chrétienne ne peut concevoir que le monde ici-bas puisse être parfait, sauf l’épisode bref de l’Éden, autre paradis perdu ; la seule perfection est celle de l’au-delà, que les vicissitudes de la vie terrestre doivent préparer. C’est avec la Renaissance que l’utopie trouve la possibilité de s’exprimer pleinement.

Le bonheur des hommes sur la terre

L’humanisme renaissant est la réhabilitation de la raison grecque ; cette raison se doit de conquérir la connaissance et la liberté en vue de la pleine réalisation de l’homme. Elle combat les aliénations des pouvoirs politiques et religieux qui s’imposent par la tradition, la force et l’arbitraire. Le bonheur sur la terre devient progressivement un droit et pour le réaliser la société doit être organisée de façon rationnelle. Les constructions utopiques relèvent de la plus grande rationalité ; tout est prévu, organisé, planifié, dans la gestion des affaires humaines, en vue de rendre les hommes heureux. De plus, les sociétés européennes du XVI e siècle sont très hiérarchisées en ordres sociaux, qui justifient les privilèges de naissance, et qui font du plus grand nombre des serfs, des exploités ; les utopies sont à l’inverse des sociétés communau­taires et harmonieuses qui défendent l’égalité des conditions comme un principe-clé parce que tous ont droit au bonheur.

La foi au progrès

Les utopies modernes ne sont plus nostalgiques, elles sont prospec­tives. Pour construire une société nouvelle, il faut d’abord identifier, pour les éliminer, les dysfonctionnements des sociétés réelles. Comme tous les rêves, le rêve utopique est forgé à partir du réel : l’idéal est imaginé en inversant le monde réel, ce qui a pour effet de souligner, en les dénonçant, toutes les imperfections du réel. Ce registre de l’utopie, polémique, invite à l’action. La subversion est la première vocation de l’utopie ; son créateur, artiste engagé dans son époque, conteste l’ordre établi. Il croit également au temps constructeur, en la possibilité d’engendrer un monde meilleur ; l’utopie peut se métamor­phoser en « uchronie » : par exemple Mercier, en 1771, publie L’An 2440, rêve dans lequel il propose une vision de Paris qui a intégré les valeurs des philosophes des Lumières. Cette foi au temps créateur, au progrès, conduit certains « utopistes » à tenter de réaliser leurs projets, en particulier au XIX e siècle (voir VI, 4). Mais toutes les utopies ne sont sans doute pas appelées à être réalisées : la conclusion de More sur une éventuelle application des idées émises dans son œuvre, « Je le souhaite, plutôt que je ne l’espère », traduit les doutes d’un auteur qui se veut davantage éveilleur de conscience politique que gestionnaire.

La portée de l’utopie moderne est politique. En allemand, « utopie » se dit « staatsroman », « le roman de l’État », un terme très éloquent qui définit l’essence de ce genre littéraire.

La contre-utopie, ou « dystopie », au XX e siècle

Le discrédit du genre utopique.

Il est parallèle à celui de l’humanisme. Le XIX e siècle croit en l’avè­nement imminent d’une humanité enfin réalisée ; l’hégélianisme, le marxisme, le positivisme annoncent un homme pleinement épanoui pour bientôt. La première guerre mondiale apporte un démenti cruel à cet optimisme. L’idéal collectiviste et égalitaire du stalinisme s’avère une barbarie d’une ampleur nouvelle avec ses dizaines de millions de morts sacrifiés à la cause du parti. L’idéal fasciste et nazi, qui milite pour un homme nouveau et un autre type de société parfaite, entraîne une barbarie qui ne doit rien à la première. Quant aux sociétés hédonistes libérales, elles harcèlent les individus d’images de bonheur offertes à tous, un bonheur matériel, technique, uniforme, consommateur, qui sont autant de leurres et de frustrations. Progressivement, le XX e siècle apprend à se défier de toutes ces sociétés qui se présentent comme parfaites et qui se réalisent comme barbares, ou qui promettent le bonheur et engendrent, dans le meilleur des cas, la déception, dans le pire, la souffrance des tortures, des camps, des exterminations. Il est devenu impossible, dans ces conditions historiques, d’ima­giner des utopies, comme on l’a fait dans les quatre siècles précé­dents, qui célèbrent les mérites d’une société idéale organisant pour ses membres un bonheur communautaire. Le XX e siècle inaugure à l’inverse un genre neuf, la contre-utopie, parodique, qui imite le récit utopique pour dénoncer les promesses illusoires des « marchands de bonheur ».

Quelques contre-utopies représentatives

Huxley, le meilleur des mondes (brave new world), 1932.

Ce roman imagine la société utopique, en 2500, d’un nouveau Dieu, « Notre Ford ». La devise de l’État « Communauté, Identité, Stabilité » définit une société standardisée. La reproduction des citoyens par éprouvettes les détermine pour leur future profession et pour la classe à laquelle ils appartiendront. L’éducation par « hypnopédie » renforce ce conditionnement. Le beau, la famille, l’amour, l’acte gratuit, l’art, la culture, sont des vices à bannir. Si la moindre inquiétude survient, la pilule du « soma » la fait dispa­raître. Le directeur, Mustapha Menier, veille sur le bonheur pour tous. Tous les loisirs, faits de voyages et de cérémonies « érotico- religieuses », sont organisés. La mort elle-même est planifiée : la vieillesse accélérée est bientôt suivie d’une euthanasie et d’une incinération. Une erreur de programmation sur un ingénieur, Bernard Marx, conduit les autorités à l’exiler dans une réserve de « sauvages ». Il rentre de son exil avec John le Sauvage, en réalité l’homme du XX e siècle, qui a lu Shakespeare, et qui connaît la vie affective ; John opte pour le suicide dans ce meilleur des mondes qui s’avère le pire qui soit.

Huxley affirme que son roman est prémonitoire et qu’il restera davantage d’actualité que l’œuvre d’Orwell. Ce dernier dénonce une forme de totalitarisme fondé sur une violence ouverte, connue, celle de la terreur ; cette violence, qui s’affiche comme telle, ne peut que susciter tôt ou tard la révolte selon Huxley. En revanche, le totalitarisme doux, indolore, accepté par tous, et donc que personne n’identifie, est plus pervers, parce qu’il parvient à endormir les consciences satisfaites de leur sort. 

Orwell, La Ferme des animaux , 1945

Cette fable animale met en scène deux cochons, César et Snowball, qui se révoltent et chassent leur maître, Mr Jones. Ils créent pour tous les animaux de la ferme un régime communautaire du travail. Snowball ourdit un complot contre César et le chasse, grâce à ses molosses, en expliquant que César est un traître qui pactise avec les hommes. Snowball oublie ses engagements, échoue dans ses projets de grands travaux, mais les animaux, anesthésiés par une politique d’obscuran­tisme, devenus analphabètes, ont perdu toute véritable conscience.

Si une contestation s’exprime, les molosses la réduisent au silence. Bientôt, la classe des verrats exploite les autres animaux, Snowball décide de faire du commerce avec les autres fermes au bénéfice des

verrats. Ces derniers se dressent sur deux pattes, apprennent vaille que vaille à marcher, ressemblent de plus en plus aux hommes. D’ailleurs les hommes finissent par leur rendre visite, félicitent les verrats pour l’ordre et la discipline qui régnent dans leur société, et commencent à les traiter comme des partenaires respectables.

« Tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres », telle est la morale sarcastique de cette dénonciation féroce et transparente du stalinisme. Orwell est un homme de gauche, mais son expérience de la guerre d’Espagne, où il voit les socialistes du P.O.U.M. liquidés par les communistes, lui ouvre les yeux sur ce qu’il considère la vraie nature du communisme.

Orwell, 1984 , 1949

Ce roman d’anticipation est écrit en 1948, Orwell inverse les deux derniers chiffres et situe son action à Londres, en Océania, en 1984. Océania une des trois puissances, aux idéologies totalitaires strictement identiques, qui constituent le monde, avec l’Eurasia et l’Estasia. Océania est gouvernée par « Big Brother », un homme de 45 ans à l’épaisse moustache, dont le regard fixe les hommes partout, où qu’ils soient ; des télécrans renseignent la police de la pensée sur le moindre geste.

Quatre ministères, de la vérité, de la paix, de l’amour, de l’abon­dance, gèrent l’Océania. Trois slogans résument la doctrine politique : « La guerre c’est la paix. La liberté c’est l’esclavage. L’ignorance c’est la force ». Le ministère de la vérité réécrit perpétuellement l’histoire pour qu’elle soit en conformité avec la situation présente, « L’Histoire est un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que nécessaire » ; le futur quant à lui est inconcevable ; seul demeure un éternel présent dans lequel le parti a toujours raison. Dans cette société du mensonge généralisé, la langue mise au point par le parti, le « novlangue », joue un rôle fondamental : langue pauvre, à la syntaxe et au lexique simplifiés et réducteurs, elle rend impos­sible l’expression d’une pensée complexe et elle annihile par là tout esprit critique et toute révolte. Les individus ne s’expriment plus que par slogans, leur langage s’est rabougri en « caquetage ». Ainsi, le ministère de la vérité peut gérer le mensonge, celui de la paix la guerre, celui de l’amour la haine, celui de l’abondance le rationnement, sans soulever la révolte populaire.

Une guerre permanente oppose l’Océania tantôt à l’une tantôt à l’autre des deux puissances voisines, mais la puissance belligé­rante devient aussitôt l’ennemi héréditaire grâce à la réécriture de l’histoire. Ce régime existe par et pour la guerre qui fixe et canalise les tensions individuelles en les défoulant dans la haine, une haine entretenue par les « deux minutes » et « la semaine de la haine ». Le bourrage de crâne fanatise la population en transformant la peur en haine paranoïaque dirigée sur l’ennemi extérieur, mais aussi sur l’ennemi intérieur, Goldstein, « l’ennemi du peuple », qui anime le supposé mouvement subversif, la Fraternité. Cette haine se transmue également en amour pour Big Brother.

Dans ce régime dans lequel il n’y a pas d’amis mais que des camarades, dans lequel l’amour est interdit, le héros Winston Smith, 39 ans, qui travaille au ministère de la vérité, tente de se révolter. L’amour partagé avec Julia est une première transgression politique ; leur adhésion à la Fraternité en fait des révoltés. Mais ils sont trahis, Winston est arrêté, torturé ; malgré une longue résis­tance, il finit par reconnaître ses torts et va jusqu’à trahir Julia, il capitule en acceptant de reconnaître que l’Océania n’a jamais été en guerre que contre l’Estasia et que deux et deux font parfois cinq : « La lutte était terminée. Il avait remporté la victoire sur lui-même. Il aimait Big Brother ». Libéré, paisible, il peut attendre une exécution sommaire qui ne saurait tarder.

1984 est une dénonciation réaliste et visionnaire des totalitarismes : certes on y reconnaît les fonctionnements des régimes d’extrême droite, fascistes, mais Orwell pense surtout à l’URSS de Staline. Le lecteur y voit aussi la Chine de Mao, la Corée du Nord, le Cambodge des Khmers rouges. La dénonciation est désespérée dans la mesure où Orwell pense que ces régimes sont indestructibles. Sans doute mésestime-t-il la force des conséquences désastreuses des erreurs économiques susceptibles de déstabiliser et de faire imploser un système qui se pense et se proclame « infaillible et tout-puissant ».

Barjavel, Ravage , 1943

L’intrigue de ce roman d’anticipation se déroule en 2052, dans une société devenue totalement technique. Des voitures volantes font le tour du monde en 20 minutes, la nourriture chimique est offerte en abondance aux hommes, la technique assure toutes les activités manuelles, on peut même conserver avec soi la dépouille mortelle de ses proches grâce à des procédés de conservation élaborés. Un jour de juin, une gigantesque panne d’électricité paralyse la planète entière. Les hommes, incapables de satisfaire leurs besoins vitaux, affamés, s’attaquent aux animaux avec des couteaux ; c’est la loi de la jungle, on s’entretue pour tenter de sauver sa peau.

Le héros François Deschamps, étudiant en chimie d’origine paysanne, décide de quitter la ville, avec son amie d’enfance, Blanche. Il retourne dans son village natal pour fonder une nouvelle société patriarcale, dont il prend la tête, dans laquelle les machines sont interdites et tout progrès rejeté. L’invention d’une machine à labourer, immédiatement condamnée par François, entraîne sa mort ainsi que celle de l’inventeur. L’humanité est-elle définiti­vement débarrassée de toute invention technique ?

Cette œuvre à thèse se propose de prouver que la technique, loin de libérer l’homme et d’assurer son bonheur, l’asservit et le conduit à la tragédie. Mais ce roman du retour à la terre, manichéen et schématique, est souvent stigmatisé, non sans raison, comme influencé par le pétainisme. Barjavel a en effet prêté sa plume aux journaux de la collaboration Je suis partout et Gringoire.

L’utopie est-elle encore possible, voire souhaitable, dans le monde contemporain ?

D’un côté, l’utopie traditionnelle, qui fait miroiter le fantasme d’une société parfaite, apparaît obsolète ; l’histoire cruelle du XX e siècle a guéri l’humanité de l’espoir et de l’attente d’une telle société qui s’avère inadéquate à la nature humaine et qui entraîne inévitablement le totalitarisme, au nom de la vérité à établir ou à défendre. De l’autre, en rester aux contre-utopies, c’est courir le risque de l’inaction devant les difficultés du monde : ou la paralysie de la désespérance devant des totalitarismes dont la puissance est présentée comme invincible ; ou la paralysie d’une invitation au retour à un état de nature : une telle invitation est une forme de négation de l’essence humaine comme homo faber, elle interdit d’imaginer des solutions pour répondre aux problèmes tels qu’ils se posent, et elle se révèle ambiguë parce que l’état de nature, pour l’essentiel, relève de l’imagination et de ses fictions, comme l’utopie, nostalgique, des origines.

Néanmoins, les hommes ont besoin de rêve, d’un idéal à défendre, pour construire, pour agir ; ils rêvent d’abord à des héros imagi­naires, comme Dédale qu’ils font voler, avant de construire un avion ; l’exemple est sans doute schématique, mais il montre qu’une utopie aujourd’hui peut être réalité demain. Qui aurait cru dans la société d’ancien régime qu’une société sans ordres hiérarchisés était possible ? Bien sûr, nos sociétés ne sont pas égalitaires, mais de nombreux privi­lèges de castes ont bel et bien disparu.

L’utopie contemporaine, comme l’humanisme actuel, consiste à imaginer un monde moins cruel, moins injuste, plus respectueux de l’homme. La généralisation des droits de l’homme, une alter mondia­lisation qui prenne en compte la justice pour tous, une écologie dans laquelle l’homme puisse s’exprimer en respectant les grands équilibres de la nature... telles sont les utopies contemporaines qui peuvent faire avancer le monde.

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Pour aller plus loin : ouvrages sur l'utopie et les utopistes

Entre utopie et dystopie : des idées lectures pour penser un monde idéal (ou pas)

Publié le mercredi 12 août 2020 à 14h32

Guénaelle Le Solleu, rédactrice en chef de "L'Elephant", Michel Porret, historien et François Angelier, producteur de "Mauvais genre" sur France Culture, proposent une sélection d'ouvrages où utopies et dystopies se rencontrent pour penser un monde meilleur, ses espérances tout comme ses contradictions. À découvrir.

Un autre monde est-il possible avec l'utopie et la dystopie ? C'est souvent lorsque la société est en pleine désillusion, en situation de crise quelle qu'elle soit que nous nous interrogeons sur notre avenir et tentons de penser un monde meilleur pour demain. L'utopie et la dystopie prennent en compte ce qu'on appelle "un horizon d'attente", en fonction de l'époque dans laquelle on se situe, c'est-à-dire que chaque époque pense son idéal en fonction des enjeux sociétaux qui la préoccupent.

Quand le genre utopique essaie de mettre en fiction ce projet d'un monde idéal (qui n'existe pas mais vers lequel nous nous efforçons de tendre), la dystopie, elle, va, au contraire, donner à penser les limites de l'utopie, en contredisant les trop grandes espérances qu'elle suscite et les limites qu'un monde trop parfait pourrait impliquer. 

"Utopies réalistes" de Rutger Bregman (2014)

▶︎ Editions du Seuil

L'historien Michel Porret évoque un ouvrage de l'historien et journaliste Rutger Bregman, écrivain et historien néerlandais auteur d'un best-seller il y a quelques années qui s'appelle " Utopies réalistes " : " C'est véritablement une réflexion de type Thomas More sur l'utopie, avec un horizon d'attente absolument extraordinaire qui était celui d'une société qui vivait à l'heure de l'Etat providence. Un système qui est en train d'être détruit partout en Europe, partout dans les sociétés démocratiques. Il se demande pourquoi on n'a pas pu en finir avec la pauvreté et quels seraient les remèdes pour essayer d'en finir avec ce fléau social. 

Ce livre articule l'utopie dans une réflexion politique, mais reflète aussi ce qui anime la société sur ce mot compliqué de "l'horizon d'attente". Très longtemps, il a été question de bonheur social, désormais, on se place peut-être dans quelque chose qui est du bonheur dans le sécuritaire absolu ". 

De quoi ça parle ? Utopies réalistes explique comment construire un monde idéal aujourd’hui et ne pas désespérer. D'une ville canadienne qui a totalement éradiqué la pauvreté à l’histoire d'un revenu de base pour des millions d'Américains sous Richard Nixon, voici un voyage à travers l'histoire des idées. Tout progrès de la civilisation, des débuts de la démocratie à la fin de l'esclavage, fut d’abord considéré comme un fantasme de doux rêveur. Appuyé sur les travaux d'économistes, cet essai rouvre plusieurs perspectives : la réduction du temps de travail, le revenu universel, plus largement la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités, l'ouverture des frontières… 

Jules Verne  

François Angelier conseille la lecture de Jules Verne qui, selon lui, était bien plus pessimiste qu'on ne le pense : " C'est quelqu'un qui avait une confiance extrêmement limitée dans le modernisme, son œuvre fait souvent référence à une sorte d'utopie industrielle et technologique. Contrairement à ce qu'on pense, ce n'est pas le prophète des sciences ; c'est quelqu'un qui avait une vision assez sombre et assez angoissée de tout cela :

Chaque fois qu'il a inventé une utopie, celle-ci a mal tourné ou prenait des allures extrêmement singulières 
  • "Vingt Mille Lieues sous les mers" (1869-1870)

▶︎ Chez livre de poche

La mer était une passion pour Jules Verne et c’est elle qui est au centre de l’un de ses meilleurs et plus célèbres romans : "Une utopie qui repose sur la conception technologiquement aboutie d'un homme qui voulait créer un lieu autre, où renaître et créer un monde qui serait pour lui l'idéal et, évidemment, un monde sous-marin. Quand on connait le dénouement, on sait aussi à quoi le Nautilus de Jules Verne peut servir sur le plan de la destruction et de l'agression". 

  • "L'Île à hélice" (1895)

▶︎ Chez Éditions du Rocher

"_Une autre utopie de Jules Verne qui est tout à fait caractéristique. Il imagine que quelques milliardaires ont créé une île artificielle qui, avec deux moteurs, se déplace à la surface des mers en étant toujours baignée par le soleil. Il n'y a plus de mauvais temps, plus de tempête, plus d'ouragan. On est toujours dans une sorte d' utopie météorologique . On retrouve une sorte de paradis qui finit très mal puisque suite à des dissensions religieuses, l'île à hélice explose._" 

  • "Les Cinq Cents Millions de la Bégum" (1879)

▶︎ Chez livre de poche 

Le Dr Sarrasin, paisible savant français, se trouve soudain à la tête d'un fabuleux héritage : les cinq cents millions de la Bégum Gokool. Mais le Pr Schultze revendique vigoureusement sa part. Les deux hommes finissent par s'entendre et partagent cette fortune. Tandis que le Français emploie son argent à l'édification d'une cité modèle, France-Ville, l'Allemand élève la Cité de l'Acier et entend construire un canon pour détruire France-Ville et soumettre le monde. 

" Les précisions que donne Jules Verne avec une malice totale pour la construction de ce bonheur urbain sont telles que, évidemment, peu à peu, on a le sentiment d'un univers disciplinaire et concentrationnaire qui n'a d'équivalent que son envers allemand, cette cité prussienne militarisée et industrielle. 

On se rend compte que les deux cités offrent un enfer terrestre à peu près équivalent, même si le roman est pétri d'idéaux tout à fait contradictoires.

"L'utopie" de Thomas More (1516)

▶︎ Chez Flammarion

C’est l'humaniste Thomas More (1478-1535) qui a inventé le mot "utopie" et lui donne ici sa pleine définition en y défendant l’ouverture d’esprit et la discussion pour améliorer le plus possible la société. L'historien Michel Porret rappelle que Thomas More écrit cette œuvre au moment où l'Europe vit le plus grand choc culturel de l'histoire de l'humanité : l'époque des grandes explorations et de la découverte de l'Amérique (l'Europe estime avoir découvert une autre partie de l'humanité aux Amériques).  Il s'agit aussi d'essayer, dans cette œuvre, de rattacher cette découverte à la même histoire de l'humanité. 

C'est avec lui que le genre utopique va inonder la culture occidentale et devenir une façon de penser le monde

De quoi ça parle ? Chancelier du roi Henri VIII, Thomas More se désole des mœurs de son temps où corruption, abus, racket sont monnaie courante dans une société féodale sur le déclin. Il rêve d’un autre monde, d'une république exemplaire où la propriété individuelle et l’argent seraient abolis et les citoyens gouvernés par la raison et la vertu. Ce texte aux accents résolument modernes brosse le tableau d’une société anglaise décadente pour mieux introduire le lecteur à un univers débarrassé des faux-semblants et de l’injustice. Thomas More y conçoit son rêve humaniste : l'île d'Utopie, une communauté civile régie par "la meilleure forme de gouvernement". Éducation du peuple, entraide, tolérance religieuse... Il formule avec méthode les principes et les lois de cette cité nouvelle. Mais, loin de constituer une évasion vers un ailleurs idéal, cette Utopie est avant tout une réflexion sur les fondements éthiques et politiques d'une société juste et heureuse.

"L'An 2440, rêve s'il en fut jamais" de Louis-Sébastien Mercier (1771)

▶︎ Edition La Découverte

Michel Porret salue "le véritable coup de génie de Louis-Sébastien Mercier, écrivain français du mouvement des Lumières qui casse le paradigme utopique, le monde idéal ailleurs sur la terre, dans une île parfaite ou quelque part dans les cieux parfaits, et déplace le réformisme par "l' utopie dans le temps ". 

Résumé : Louis-Sébastien Mercier, l’auteur du célèbre Tableau de Paris (entre 1781 et 1788) s’endort un soir à minuit et se réveille quelque 700 ans plus tard, dans un Paris totalement nouveau. Il s’étonne de tout, est lui-même objet de curiosité et tire de sa vision de profondes réflexions tant politiques que sociales et économiques. Le Paris de 2440 , « auguste et respectable année », apparaît au lecteur à la fois comme un songe merveilleux et la description d’une société idéale. Louis-Sébastien Mercier, nourri des Lumières, croit en effet en la mission prophétique des philosophes et écrivains et délivre ici  sa vision d’un monde meilleur.

"Le monde tel qu'il sera" de Émile Souvestre (1846)

▶︎ Disponible gratuitement sur Google Book (Édition Wilfrid Coquebert)

Jonathan Swift et Voltaire étaient deux penseurs extrêmement sceptiques sur l'utopie , ils ont montré à quel point cet imaginaire chimérique qu'est l'utopie ne menait à rien, tant elle nous invite à vivre hors de l'histoire. Dans leur héritage se met en place toute une série de livres. Le premier d'entre eux est mal connu, c'est l'oeuvre d'un type absolument extravagant, Émile Souvestre. Il a écrit cette dystopie industrialiste extraordinaire , où, par exemple, le sein des nourrices est remplacé par un sein à vapeur. On plonge dans un monde épouvantable qui est réglé par le capitalisme, l'industrialisme. On construit à partir de ce moment-là des modèles alternatifs. 

La dystopie, c'est ici l'anti-utopie : vers quel enfer nous mène le monde idéal ? 

- Michel Perrot

Résumé : Marthe et Maurice, deux jeunes mariés modestes et idéalistes de 1845 curieux d'observer comment leur espoir d’un monde futur meilleur se traduira, visitent le monde de l’an 3000. Mais ils se rendent compte que celui-ci est épouvantable, dénué de toutes les valeurs essentielles de la vie sur lesquelles ils comptent. 

"Sur la route" de Jack Kerouac (1957) et "La route" de Cormac McCarthy (2008)

▶︎ Chez Gallimard 

▶︎ Chez Éditions de l'Olivier

Le passage de l'utopie à la dystopie est, selon François Angelier, véritablement incarné par ces deux romans qui portent à peu près le même titre : "on voit comment un idéal utopique qui est celui de la route, identifiée à l'horizon sans cesse relancé, sans cesse redéfini, où tout est possible et où les espérances sont toujours inscrites dans l'Après : on ne sait pas qui on va rencontrer et quel paysage on va découvrir ! 

Que nous réserve la route de Kerouac ? Le livre est centré sur le personnage obscur et fascinant de Dean Moriarty, considéré comme le chef de file de la Beat Generation . En révolte contre l'hypocrisie morale de l'Amérique bien-pensante, Jack Kerouac parcourt les États-Unis à la recherche d'un nouveau mode de vie. 

Et dans celui de Cormac McCarthy, la route est devenue un espace de survie totalement dystopique où l'on consomme l'effondrement généralisé à la fois des corps, des choses, des sociétés :  l'horreur, le cannibalisme, la mort, la pluie de cendres… 

On a bien, avec ces deux livres, le passage vers le désenchantement total de l'espérance humaine.

"Une machine comme moi" de Ian McEwan (2020)

▶︎ Editions Gallimard 

Michel Porret cite également le dernier livre de l'auteur britannique : " Un roman qui raconte l'irruption de cyborgs absolument parfaits dans la société contemporaine, au point que les femmes peuvent aller faire l'amour avec un cyborg sans se rendre compte que c'est une machine. 

C'est un horizon d'attente extrêmement important sur la post-humanité

L'utopie et la dystopie ont toujours fonctionné sur ce type de paradigme pour essayer non de refléter mais d'être en prise avec quelque chose qui est à l'œuvre très profondément dans une société ". 

Résumé : Londres, 1982. Dans un monde qui ressemble à s’y méprendre au nôtre, quelques détails dissonent : les Beatles sont toujours au complet, les Anglais ont perdu la guerre des Malouines et le chercheur Alan Turing est encore en vie. Grâce à lui, les prouesses technologiques sont inouïes et les avancées scientifiques en matière d’intelligence artificielle fulgurantes. C’est ainsi que Charlie fait l’acquisition d’un "Adam", un androïde doté de l’intelligence artificielle la plus perfectionnée qui soit. Adam ressemble beaucoup à un humain. Adam et ses semblables ont été conçus pour respecter les règles et ne parviennent pas à accepter les imperfections du monde. 

Et tant d'autres !

  • "Nous-autres" de Ievgueni Zamiatine (1924) (édition Gallimard)
  • "Le meilleur des mondes" d'Aldous Huxley (1932) (édition pocket)
  • "Le talon de fer" (1907) (édition libertalia) ou l'extraordinaire dystopie anticapitaliste de Jack London qui est vraiment un des premiers grands livres qui dénonce le capitalisme mondial
  • "La Kallocaïne" de Karin Boye (1940) (éditions actusf)
  • "1984" de Georges Orwell (1949) (édition Gallimard et/ou Folio )

Aller plus loin 

🎧 RÉÉCOUTER - L'été comme jamais, animée par Dorothée Barba : L'utopie est-elle encore possible ?

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exemple dissertation utopie

Thomas More – Remettre en cause notre monde (L’Utopie)

  • Prépa Économique
  • Culture Générale
  • 23 octobre 2022
  • Raphael Gremillet

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Major Prépa > Académique > Culture Générale > Thomas More – Remettre en cause notre monde (L’Utopie)

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Dans cet article, nous allons te présenter les grands traits d’une œuvre de Thomas More qui te sera utile et constituera une référence pour ta dissertation de philosophie, et éventuellement, pour dépasser un sujet . Tu retrouveras une présentation générale de ce livre ainsi qu’une analyse centrée autour du monde.

Cette œuvre est d’autant plus importante qu’elle a permis l’ émergence du mot « utopie » . Après la parution de ce livre viendront de nombreux œuvres en lien avec cette notion ou avec celle de « dystopie » comme Le meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley , Fahrenheit 451 (1953) de Ray Bradbury, ou encore 1984 de George Orwell (1949). Thomas More a ainsi ouvert une nouvelle perspective, un nouveau genre qui permet d’ imaginer un monde pour mettre en lumière certains aspects du nôtre .

Le genre utopique : présentation

L’Utopie de Thomas More est un livre fondateur de la pensée utopiste, paru en 1516 .

Ce mot émerge de ce livre, et provient des racines grecques «  ou- » (préfixe incluant une restriction) et «  topos » (lieu). Ainsi, le mot utopie signifie « un lieu qui n’existe pas » ou encore « lieu de bonheur » (eu- qui signifie bonheur et topos, le lieu).

C’est un genre littéraire qui mêle récit de voyage et description d’une société parfaite . Cette expérience immersive dans un monde fictif permet de prendre du recul sur le monde actuel en le critiquant.

Ce livre apparait en effet tout d’abord comme une critique adressée aux imperfections de la société anglaise du temps de l’auteur, qui écrit ceci : « Il y a lâcheté à taire les vérités qui condamnent la perversité humaine, sous prétexte qu’elles seront bafouées comme des nouveautés absurdes, ou des chimères impraticables ».

Ainsi, dans le livre Premier, le narrateur reproche aux jurisconsultes et au cardinal d’Angleterre l’injustice de certaines lois ou actions ; par exemple, le commerce de laine a privé les paysans de leurs terres au profit de quelques-uns, qui se partagent la richesse et peuvent laisser paître les troupeaux.

Thomas More nous propose donc la vision d’un nouveau monde  en rupture avec la société anglaise du 16 ème siècle. Les vertus de cette utopie, comme par exemple l’égalité de tous les citoyens , qui s’oppose à la misère de la société de son temps, permettent de dresser une véritable critique du monde anglais de cette époque.

Pour autant, More ne décrit pas une fatalité irrésoluble . En effet, l’auteur fait avant tout part d’optimisme quant à l’avancée des citoyens anglais, car les Utopiens ont réussi à résoudre leurs problèmes. Ainsi, l’Homme peut changer son destin, tout comme les Anglais peuvent réparer leurs dérives.

Cette œuvre est intéressante puisque l’auteur se refuse à recourir au merveilleux, au genre fantastique, comme en atteste l’absence de climat paradisiaque : pas de providence divine ni d’une quelconque volonté de Dieu qui pourraient tout résoudre. More met donc en avant la possible réalisation de cette société parfaite , qui, en réalité, provient de la volonté des hommes.

Description de l’oeuvre

Dans le Premier livre, il est question d’un dialogue entre 3 personnages : Thomas More , Pierre Gilles (son éditeur et ami) puis Raphaël Hythlodée (personnage fictif), un marin philosophe qui nous décrit l’Ile d’Utopie et dénonce les injustices de la société anglaise.

Dans le Second livre, nous trouvons un monologue d’Hythlodée, une description de l’île, qui est une île fictive situé dans l’Hémisphère Sud, et apparaît comme l’image de l’Angleterre si celle-ci était mieux dirigée.

Concernant l’organisation interne de l’île, celle-ci est divisée en 54 villes, construites de manières identiques et possédant les mêmes institutions, langues et mœurs. Il y règne une véritable autarcie économique , pour permettre une sorte de rationalisation.

Ainsi, les champs sont, par exemple, répartis en fonction du travail agricole et des besoins des habitants. La société entière est fondée sur l’agriculture ; et en effet, l’Utopien doit avoir travaillé deux ans au minimum à la campagne. Toutes les personnes travaillent 6h par jour au lieu des plus de 12h de l’époque, et consacrent le reste de leur temps à l’amélioration de la société . La paresse est condamnée, ce qui permet à tout le monde de s’adonner pleinement à ses activités.

Certains parleront même de planification d’une société communiste, puisque la propriété privée est abolie, et les Utopiens établissent la possession commune et doivent changer de domicile tous les 10 ans.

D’un point de vue économique, les ressources sont données selon les besoins, et aucune monnaie n’existe . Ainsi, il n’y a pas d’échanges économiques , sauf pour les métaux, que les Utopiens considèrent peu. Le pouvoir ne se situe pas dans la main d’une seule personne, mais tous les ans, « 3 vieillards » sont élus députés par chaque ville puis se déplacent à Amaurote, la capitale de l’île, afin de débattre sur les affaires nationales.

Le bonheur chez un Utopien pourrait se rapprocher de l’épicurisme  : «  Le bonheur, pour eux, ne réside pas dans n’importe quel plaisir, mais dans le plaisir droit et honnête vers lequel notre nature est entraînée. Il leur faut fuir tout acte qui pourrait être source extérieure de souffrance pour soi ou pour autrui » .

De plus, aucune religion n’est interdite : elles coexistent et sont diverses. Cependant, la religion prédominante est le monothéisme , avec la reconnaissance d’un Dieu tout-puissant, qui est inexplicable, et appelé « Père » .

Perspectives d’analyse

Le meilleur des mondes.

More, par la description du personnage fictif Raphaël, établit un lieu parfait, une véritable utopie, un lieu de bonheur où tout est identique, équilibré. Puisque toutes les villes possèdent les mêmes atouts et caractéristiques, il suffit d’en avoir vu une pour les connaitre toutes. L’égalité , la vertu , l’intégrité et le dévouement règnent dans cette société, qui semble être la meilleure possible.

En effet, le livre de Thomas More est initialement intitulé L a meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d’Utopie . Cela se manifeste également par le fait que les Utopiens détestent la guerre et l’évitent autant que possible, même s’ils réalisent des exercices au cas où ils auraient à se défendre. Les habitants essayent en réalité de ne pas tomber dans l’excès, adoptant ainsi la perspective de cette sagesse épicurienne .

Le personnage Raphaël termine sur ces mots : «  Je vous ai décrit le plus exactement possible la structure de cette république où je vois non seulement la meilleure, mais la seule qui mérite ce nom. Toutes les autres parlent de l’intérêt public et ne veillent qu’aux intérêts privés. Rien ici n’est privé, et ce qui compte est le bien public » . Bien loin de La fable des abeilles de Mandeville qui prime en Europe, le marin souhaite donc que la participation collective présente sur cette île s’applique dans toutes les sociétés .

Changer le monde

Finalement, Thomas More dresse un nouveau monde et la possible réalisation de ce nouveau monde , qui rompt avec les injustices sociales et économiques régnant dans l’Angleterre de l’époque. Si cette conception a donné naissance à un véritable genre utopique et nourri de profondes réflexions, certains ont dénoncé l’uniformisation que cette forme de société représentait.

Ils redoutent en effet une société où il n’y a plus de place pour la réussite individuelle, l’enracinement à une culture propre et une vie certaine. La diversité se meurt au profit d’un égalitarisme presque totalitaire. La société dicte, par avance, le Bien que doivent vouloir les habitants.

Ainsi, certains dénoncent une utopie qui tournerait en dystopie : dans une telle société, serions-nous réellement dans le meilleur des mondes possibles ?

  • L’utopie (lieu qui n’existe pas ou lieu de bonheur), mise en avant par Thomas More, permet de décrire un nouveau monde qui rompt avec les imperfections de la société anglaise de l’époque.
  • L’ile repose sur l’égalité, l’engagement, le respect et la sagesse épicurienne, qui permettent à tous les habitants de vivre harmonieusement . On retrouve ici l’idée de totalité ordonnée qui correspond au monde, et s’exprime cette fois-ci par l’unité de la société-même.
  • La proposition de ce nouveau monde, réalisable selon l’auteur, donne des pistes de réflexion sur le nôtre .

Retrouve un autre exemple d’utopie dans notre fiche sur le monde chez M. Abensour . Toutes nos autres fiches sur « Le monde » sont ici ! Bon courage pour tes révisions !

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Écrire une utopie ou une dystopie

Couverture du n°270 de Fiction

La méthode pas à pas

Étape 1 travailler le sujet.

  • Individuellement, choisissez entre utopie et dystopie.
  • Faites le plein d'idées : les locaux ont‑ils changé ? Les vêtements des lycéens sont‑ils étranges ? Etc.
  • Définissez les conditions et les contraintes nécessaires à l'invention d'une dystopie ou d'une utopie. Pour cela, reprenez les textes du corpus et faites la liste des éléments qui font de ces textes des utopies ou des dystopies.
  • Choisissez ce qui vous semble intéressant pour votre sujet.

Étape 2 Planifier l'écriture

  • En groupe, échangez sur vos trouvailles. Déterminez qui est le narrateur et qui sont les personnages.
  • Établissez le plan de votre nouvelle : quelle est la situation initiale ? Combien d'aventures ou de découvertes contiendra‑t‑elle ? Comment l'histoire se termine‑t‑elle ?
  • Répartissez‑vous l'écriture des différentes étapes ou des différentes séquences.

Étape 3 Écrire le premier jet

  • Individuellement, écrivez votre partie.

Étape 4 Mettre en commun et corriger

  • Faites une lecture à haute voix de la nouvelle ainsi obtenue et harmonisez les différents textes entre eux.
  • Corrigez la nouvelle.
  • Vous pouvez maintenant partager votre nouvelle avec la classe !

Boite à outils

  • Revoyez les définitions utopies/dystopies ( p. 14 ) .
  • Rappel. Un cadre futuriste, une thèse défendue et l'appui sur une technologie sont attendus.
  • Revoir les temps du récit .

Critères de réussite

  • Je fais des propositions dans le groupe pour améliorer le texte.
  • J'inclus des éléments caractéristiques d'une utopie ou d'une dystopie.
  • J'harmonise les différentes parties entre elles.
  • Je respecte les règles d'orthographe.

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Sciences de la société

Accueil Numéros 100 Les Utopies sociales ou la tentat...

Les Utopies sociales ou la tentation des possibles

Notes de la rédaction.

A lire aussi – ou écouter – en matière d’utopie, et ici en guise de point d’orgue à ce n° 100 de revue... «  Nous vivons au raz des pavés, n’ayant jamais connu la plage, et jamais le roi des étés ne s’est inscrit au paysage. [...] Nous rêvons d’une autre planète, en ce futur, t’en souviens-tu ? Nous tirons des plans à facettes vers des comètes disparues...  » (Utopia, Bernard Lavilliers, 1976, <h ttps ://www.dailymotion.com/video/xq9dkw> ).

Texte intégral

« Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable » (Boileau, cité par Charles Fourier, in Politique galante pour la levée des armées (Œuvres complètes, 181).

Discours de Big Brother dans la publicité Apple « 1984 » « Mes amis, chacun de vous n’est qu’une petite cellule du grand corps de l’Etat. Et aujourd’hui, ce grand corps s’est débarrassé de ses parasites. Nous avons triomphé de la dissémination incontrôlée des faits. Les bandits et les destructeurs ont été éliminés. Les herbes empoisonnées de la désinformation ont été enfermées dans la poubelle de l’histoire. Que chacun, que chaque cellule se réjouisse ! Aujourd’hui, nous célébrons le premier anniversaire de la Directive sur la Purification de l’information. Nous avons créé, pour la première fois dans l’histoire, le jardin de l’idéologie pure où chacun pourra s’épanouir à l’abri de la peste des vérités contradictoires et confuses. Notre Unification de la pensée constitue une arme plus puissante que n’importe quelle flotte ou armée sur terre. Nous formons un peuple. Avec une volonté. Une détermination. Une cause. Nos ennemis pourront converser entre eux jusqu’à en mourir. Et nous les enterrerons avec leur propre confusion. »

1 <https:// www.dailymotion.com/video/x2yi86u>.

1 C'est un spot publicitaire d’une minute exactement  : 1984 signé Apple 1 . Dans la galerie d’une Metropolis en clair-obscur, des hommes au regard vide marchent en ligne au rythme de la voix synthétique de Big Brother . Les plans sont brefs, traversés de stridences. Des écrans scintillent le long des parois métalliques. Apparitions sporadiques de l’héroïne Apple, tandis que les hommes au regard vide, etc… Elle court vers nous, poursuivie par des gardes casqués et armés de matraques. Le film est en noir et blanc. Elle seule est en couleur. C’est une athlète blonde, vêtue d’un short rouge ; une lanceuse de marteau. La voix de Big Brother égrène son texte sur l’écran central du bunker. Plan américain sur l’héroïne. Les hommes désormais immobiles, assis en rangs serrés, écoutent Big Brother . La jeune femme prend son élan. Elle lance son marteau en criant très fort. L’écran central explose.

« Le 24 janvier Apple Computer lancera le Macintosh. Voilà pourquoi 1984 ne sera pas comme 1984. »
  • 2 Dans le livre i du Capital , Karl Marx nous parle même du «  caractère mystique de la marchandise »  ( (...)

2 Georges Orwell avait-il voulu sonner le glas de l’utopie ? La société Apple en tout cas prétend lui redonner son lustre. Elle reprend à son compte le caractère fabuleux et subversif de l’utopie. En 60 secondes, le caractère dystopique de 1984 est réfuté. Mais le récit utopique, sa poétique, le règne de la liberté qu’elle annonce – la fin de la domination de l’Un, le triomphe des possibles – sont ici le moyen de promouvoir un ordinateur et de contrecarrer une marque concurrente. Car nous sommes effectivement en 1984, année où Apple lance Macintosh. Dans ce contexte, l’Un, c’est l’autre – ibm en l’occurrence. C’est donc à l’apologie du libéralisme que nous avons à faire (affaire ?) en tant qu’il est censé donner libre cours à la créativité, à la révolution des techniques et à la liberté de la concurrence. Une nouvelle fraternité est en voie de naître – celle des consommateurs de la pomme. Fin de l’aliénation ou aliénation nouvelle ? Déconstruction ou naissance d’un néopouvoir celui de la chose (une marchandise en l’occurrence) ? Liberté ou «  fétichisme de la marchandise » 2  ? Apple aurait-il crée l’objet magique, le Graal, par lequel chacun pourrait se libérer de la domination des petits ou grands Brother  ? Le doute n’est plus permis : «  Et vous verrez pourquoi 1984 ne sera pas comme 1984  ». De fait tout se passe comme si les succès de la technique et la loi du marché mettaient un point d’orgue à l’espérance utopique en prétendant l’avoir réalisée. Or n’est-ce pas précisément lorsque l’utopiste pense être arrivé au port dans l’ivresse de l’achèvement – que la fin de l’utopie est en quelque sorte scellée ?

L’utopie sous les feux de la critique

  • 3 Un now where – ici et maintenant – plutôt que le nulle part du no where . ; Giles Deleuze (1991, 101 (...)

3 Comme on le sait « utopie » est un néologisme inventé par Thomas More au début du xvi e siècle : utopia le lieu sans topos – autrement dit sans lieu. Qu’il s’agisse d’interpréter le u d’utopie comme un préfixe privatif (le non ) ou comme le εὖ grec qui signifie le bien ne change guère le fond du problème : l’utopie est supposée désigner une société désirable, mais non encore advenue. Si bien que la question posée par l’utopie serait, de susciter l’émergence d’un «  now where  » 3 . Rêve impossible ou outil nécessaire pour creuser des passages entre ce qui est et ce qui pourrait être ? Comment définir l’utopie, en effet, sinon comme l’art d’ouvrir du futur dans le maintenant, du réel avec le non encore réalisé ? «  C’est ce que j’ai qualifié de “docta spes”, d’utopie concrète  », nous dit Ernst Bloch (2016, 95).

4  On est généralement plus indulgent envers les utopies techniques…

  • 5 Le Pays de Cocagne, version païenne de l’Eden, présent dans les cultures populaires européennes et (...)

4 Or c’est, en premier lieu, cette prétention à la concrétude qui est déniée par la critique. Pour mieux souligner la vacuité des utopies sociales 4 , leur irréalisme foncier, on pratique volontiers le glissement du substantif utopie(s) vers l’adjectif utopique  (antonyme de réaliste ) et son principal synonyme  : chimérique . Parce qu’elle est censée évoquer un en-deçà mythique – un âge d’or, une terre pastorale, un simulacre d’Eden, un temps perdu ; parce qu’elle a partie liée avec le désir d’abondance, le Pays de Cocagne 5 et la disparition de la propriété et des rapports de domination, l’utopie reste communément considérée comme une fiction puérile ou/et poétique. Elle mélancolise – diton – sur le passé ou/et rêve sur un  nouveau,  mâché et remâché par les mythes. L’hypothèse de perspectives radicalement autres ne recouvre-t-elle pas une vision candide de la réalité et des mécanismes du pouvoir ? De fait, l’utopie est supposée ignorer les lois du réel avec une coupable obstination.

« La marche du temps ne séduit plus que les imberbes et les fanatiques. » (Cioran, 686, Précis de décomposition).

6 Expression de Miguel Abensour.

  • 7 Ernst Bloch, Walter Benjamin, Théodor W. Adorno, avaientils des raisons d’être optimistes ? Moins q (...)

5 L’époque contemporaine n’en a pas fini avec le procès des «  Maîtres rêveurs  » 6 . C’est ainsi que l’utopie se voit barrée à l’encre noire par une longue lignée de génies dépressifs : Schopenhauer, Bataille, Cioran, Beckett, Bernhard, Houellebecq… Que peut-on attendre de l’avenir, nous diton, sinon la réitération des échecs passés ? Des révolutions ratées, des vociférations populistes, un impérialisme insatiable, un djihad mortifère, des luttes à mort entre puissances ennemies ? En forçant le trait : la possibilité d’une île, ce ne serait plus l’humanisme de Thomas More, de Swift, de Bacon ou de Rabelais, la réhabilitation fouriériste du désir, le socialisme pratique de Robert Owen, l’invitation à l’éveil de Walter Benjamin, le principe d’espérance de Bloch, la rencontre avec l’Autre d’Emmanuel Levinas, l’espérance démocratique de Miguel Abensour, mais le grand vortex de déchets du Pacifique nord. 7

« J’aimerais terminer sur un message d’espoir. Je n’en ai pas. En échange, est-ce que deux messages de désespoir vous iraient ? » (Woody Allen, Hannah et ses sœurs, 1986)
  • 8 Certaines utopies peuvent naître du désespoir. «  Il y a une dimension catastrophique de la pensée d (...)

6 Le désespoir, c’est bien joli, mais ce n’est pas gai 8 . Freud le concède, bien que l’utopie sociale ne l’enchante guère. Dans l’économie psychique, les illusions peuvent présenter un avantage : elles tempèrent l’angoisse que produit chez l’homme la puissance infinie de la nature, les contraintes sociales, l’inéluctabilité de la souffrance et de la mort, instituant ainsi des «  satisfactions substitutives  » (Freud , L’avenir d’une illusion, 19) comme le font, à leur manière, la religion, les arts ou l’opium. Ainsi, l’utopie compterait – au mieux – parmi les remèdes de la pharmacopée magicoreligieuse et de ses effets placebo.

7 Mais le pire, ce serait pour beaucoup – et pour Freud lui-même – qu’elle se réalise vraiment . De là, une critique qui fait de l’histoire et a fortiori de l’utopie un «  tunnel dangereux où l’homme s’engage dans l’obscurité sans savoir où conduiront ses actions » (Furet, 1995, 572). C’est donc que l’utopie aurait des effets sur le réel ? Ce procès vient doubler le thème de l’impotence tout en le contredisant ouvertement. Tout compte fait, nous n’aurions pas affaire à un songe creux : l’utopie sociale pourrait sortir du cadre fictif dans lequel on la croyait enfermée pour subvertir la réalité présente. Et pour inventer quoi ? L’Enfer, nous diton. Dans cette perspective, le stalinisme, par exemple, ne serait pas une perversion de l’utopie des soviets de 1917 – mais sa conséquence naturelle. C’est ainsi qu’au regard d’un Furet, «  le rêve égalitaire  » est forcément «  apocalyptique  » ( id. , 179). Il aurait contaminé les peuples du xx e siècle jusqu’à les pousser à commettre l’irréparable.

« L’idée d’une autre société est devenue presque impossible à penser, et d’ailleurs personne n’avance sur ce sujet, dans le monde d’aujourd’hui, même l’esquisse d’un concept neuf. Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons » (id., 572).

8 Pourquoi ne pas admettre d’emblée qu’on soutient l’ordre existant ? La sagesse voudrait sans doute qu’on se contente d’être de braves gens, dépourvus de ces illusions qui nous livrent à l’espoir de lendemains irréalisables. «  Petit cultivateur icibas, il [l’homme] saura cultiver son petit arpent de terre » (Freud, op. cit., 70). «  Sapiens laboravit semper.  » De Sénèque à Voltaire, de Voltaire à Freud, la métaphore agricole fait son chemin. Comme si la seule issue était la sagesse d’un petit propriétaire qui ne verrait pas plus loin que la clôture de son jardin… Sagesse relative, puisqu’à la moindre occasion, la détestable nature humaine a tôt fait de manifester sa furie. «   Homo homini lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire de s’inscrire en faux contre cet adage  ?   » (Freud , Malaise dans la civilisation, 65). La culture pacifique du potager est donc – hélas – toujours menacée de chambardements ; il ne serait pas nécessaire d’en rajouter avec des projets hasardeux. C’est un paradoxe puisqu’aussi bien le sage Freud est le père d’une révolution qui n’en a pas fini d’avoir des effets sur nous. Il faut donc admettre que le kit de jardinage ne valait pas pour lui…

  • 9 On peut certes cultiver librement son jardin privé. Souvent, c’est un salarié qui s’y colle. Mais c (...)
  • 10 «  Si des rangs sortent quelques hommes/ Tous nous crions : A bas les fous !  » Pierre Leroux, cité p (...)

9 D’ailleurs, même l’option agricole est volontiers sacrifiée – et, avec elle, ce que Gilles Deleuze appelait les «  micro politiques du désir  ». Créer de l’ atopie dans le topos 9 – un dehors au dedans d’un territoire jalonné – c’est se mettre à dos la machine d’Etat et ses instances de contrôle. Certes, en marge du territoire peuvent tout de même s’agiter quelques artistes ou quelques fous 10 . Les uns seront récupérés par le marché (de l’art) ; les autres, finiront peut-être sénateurs ; quant aux incurables, ils ont pour eux l’hôpital ou les couloirs de métro… Et pourtant…

«  Le pire ne serait-il pas que les choses continuent comme avant  ?  » (Benjamin, Le livre des passages, 491)

11 Voir K. Marx, Les Luttes sociales en France .

10 Encore faut-il se donner les moyens d’échapper à la répétition du même. Et c’est là justement que s’ouvre le procès inverse de celui des conservateurs : l’utopie accusée – notamment par Marx – d’escamoter les luttes réelles au profit d’une hypothétique rédemption. Dans le Manifeste , Marx et Engels reprochaient déjà aux utopistes (Saint Simon, Fourier) de s’obstiner à ignorer les antagonismes de classes. « Ils repoussent donc toute action politique et surtout toute action révolutionnaire ; ils cherchent à atteindre leur but par des moyens pacifiques et essaient de frayer un chemin au nouvel évangile social par la force de l’exemple, par des expériences à une petite échelle qui naturellement échouent toujours » ( Le Manifeste du parti communiste , 59). Mais après l’échec de 48, Marx ne décolère plus 11 . A ses yeux, les socialistes ont entretenu l’illusion naïve que la révolution pouvait une nouvelle fois se réaliser avec la frange apparemment progressiste de la bourgeoisie. Cette espérance, jointe à l’inexpérience du prolétariat, ont conduit au désastre et au renforcement de l’ordre bourgeois. Les barricades une fois tombées, l’Europe est mise en coupe réglée. En France, le parti de l’Ordre se donne pour Président un hologramme de Bonaparte en attentant l’Empire…

11 Car en fin de compte, qui donne à espérer ? Pour qui ? A quelle fin ? Ce questionnement – cette herméneutique – rassemble Nietzsche, Marx et Freud ; les «   Maîtres du soupçon  », c’est ainsi que Paul Ricoeur a baptisé cette improbable triade. Improbable, puisque tout les sépare, hormis leur hostilité à l’égard des enchantements.

  • 12  »  Les tyrans mêmes trouvaient bien étrange que les hommes puissent endurer un homme leur faisant d (...)
  • 13  De ces ensorcellements , la philosophie – et notamment les matérialistes de l’âge classique et des (...)

12 « Zeus voulait que l’homme, quelques tortures qu’il endurât des autres maux, ne rejetât cependant point la vie, continuât à se laisser torturer toujours à nouveau. C’est pourquoi il donne à l’homme l’Espérance : elle est en vérité le pire des maux, parce qu’elle prolonge la torture des hommes » (Nietzsche, Humain, trop humain, 89). N’est-ce pas, nous diton, sur le concubinage du politique et de l’espérance (dans sa dimension théologale) que la machinerie autoritaire fabrique du consentement ? Même chez Etienne de La Boétie cette critique apparaît 12 . Pour bien gouverner, comme le disait Nicolas Machiavel, il convient de faire comme si l’on avait dieu avec soi… Certes, la fiction «  oblige  » le Prince. Il n’en demeure pas moins que la bonne politique reste, en fin de compte, la capacité intelligente de «  méduser ses sujets  » (Lefort, 1986 , 443). Grâce à cet effet de sidération, le contrôle social se perpétue de siècle en siècle 13 . En attendant pieusement des lendemains inouïs, l’aplomb est préservé – celui des parlants sur les entendants, des trompeurs sur les trompés, des Princes sur leurs sujets. Or l’utopie n’a-t-elle pas recours, par le biais de l’imagination, à la même stratégie que celle des Princes trompeurs ? Le désir d’advenir comme sujet de l’histoire ne serait-il pas toujours remis au lendemain au profit des intérêts de quelques uns ?

14  John Lilburne (Jeannélibre), Richard Overton, William Walwyn, John Widman…

  • 15  »   Parlez à Cromwell de quoi que ce soit ; il mettra sa main sur son cœur, il lèvera les yeux au c (...)

13 Ce procès en idéologie choisit d’ignorer l’obstination avec laquelle les utopies opèrent des percées décisives dans le champ social. En matière de soupçon, elles ne sont pas les dernières à déchiffrer le surcodage d’une société de classes qui tend à la domination entière de la production désirante. – y compris par le biais du messianisme. L’utopie révolutionnaire des Niveleurs 14 en est un exemple. Un siècle et demi avant la Révolution française, ils démontent et combattent pied à pied la société de classes et la machinerie du pouvoir : la confiscation des richesses par une minorité avide – la terre, et les fruits du travail dérobés au commun ( free commons ) ; le pouvoir arbitraire de l’Etat ; la tartufferie des théologiens : «  ces commerçants en choses divines  » (brochure anonyme, in Lutaud, 1967 , 68) ; la mise en majesté du Christ à la droite de Dieu par les clercs : «  Mais moi je vous dis que JésusChrist qui est ce puissant esprit de fraternité, est le Niveleur en chef  » (G. Winstanley, id., 234)  ; l’iniquité des Tribunaux ; la censure ; l’esclavage dans les colonies, bref, tous les mécanismes de la «  Tyranipocrite » ( id., 87 ). Soldats de l’égalité, intempestifs et utopiques, ils ne sont cependant pas dupes : au plein de la révolution peut surgir la menace d’une pétrification de l’élan. Pire encore, l’horizontalité propre à la révolution risque toujours d’être rompue par des leaders qui reproduisent à leur tour les stratégies du surplomb : le lieutenant général Cromwell, par exemple 15 . L’enjeu est alors double : rendre possible une République démocratique, égalitaire et joyeuse («  Pour sûr la Joie, c’est l‘instinct de Dieu  » (R. Overton, id., 62) ; et démasquer ceux qui, au cœur même de la Révolution, prétendent agir à la place du peuple. « Ils disent partager vos soucis, être la chair de votre chair et l’os de vos os… » (J. Whitman, id., 178).

14 Car même une révolution ne peut garantir la fin des archétypes de la domination… Ainsi, on ne se débarrasse pas des utopies sociales aussi facilement que le voudrait la critique. En tous cas, pas de celles qui naissent «  du refus   de l’engourdissement  » (Bloch, 1982, 47), celles qui tracent leurs lignes en dépit des obstacles et ouvrent à l’intelligence des voies nouvelles.

« L’utopie sociale a, pour une grande part, activé la force qui permet de s’étonner encore et de considérer le Donné comme allant si peu de soi que seule sa transformation peut au contraire se donner comme l’évidence même » (id., 47).

15 D’ailleurs, le dialogue jamais terminé, le chjam’è rispondi , les doutes, les querelles, évoquent un paysage contrasté plutôt qu’un bréviaire. Une espérance traversée de contradictions et de questionnements, avec comme viatique, la certitude que «  nous allons de l’avant, en tant que nous sommes la tension creusant sans cesse plus profond, jamais quitte, utopique, la tension de toute forme faite  » (Bloch, 1977, 275).

16 Mais les critiques sont si tenaces, qu’au xix e , les utopistes se jettent le terme à la figure comme une insulte. Pourquoi, sinon parce qu’ils refusent une assignation à résidence, comme le faisaient déjà, si on y prête attention, les utopistes de la Renaissance ?

Omnia sunt communia

17 Nous voulions parler de l’utopie sociale. Nous voilà pris au piège. L’utopie, une fois baptisée telle, c’est le multiple qui se déploie. Il se présente à nous comme un entrelacs de forces vives, si dense qu’on dirait «  une forêt vierge » . On serait tenté de mettre de l’ordre dans tout ça . Le risque serait de nous retrouver avec un jardin à la française – aux antipodes de l’utopie… Même le plan chronologique est en partie bouleversé par la polyvocité des intentions, les échappées intempestives, les filiations improbables, les chemins de traverse, les ambiguïtés.

  • 16  Dans la tradition musicale de l’Occident chrétien, les dissonances, sont perçues comme des manifes (...)

18 Sommées d’exister dans l’Un, les utopies se dérobent. On l’a compris. Elles n’ont pas la plénitude, la solidité de l’indubitable. S’il existe des lignes mélodiques, elles sont peuplées de dissonances – diabolus in musica … 16 Si bien que la tentation de l’Harmonie parfaite est contredite par les utopies ellesmêmes : l’impossibilité de se concilier ou de se réconcilier sur ce que Lénine appelait le « granite »  d’une théorie ? Impossibilité ou plutôt refus délibéré. A lire L’Utopie de More, le lecteur est d’ailleurs prévenu :

17  Souligné par nous. « Mieux vaut procéder de biais 17 et vous efforcer, autant que vous le pouvez, de recourir à l’adresse, de façon que, si vous n’arrivez pas à obtenir une bonne solution, vous avez du moins acheminé la moins mauvaise possible. Car comment les choses pourraient-elles être parfaites si tous les hommes ne le sont pas davantage, ce que je n’espère pas voir arriver demain ? » (More, op. cit., 126)

19 Stratégie du détour ? Jeu de dupes ? Limite assignée d’emblée à la démarche utopique afin d’en atténuer la puissance critique ? Nous parlerons plutôt, à l’instar de Deleuze ou d’Abensour, de «  lignes de fuite  » sans lesquelles aucune perspective n’est possible : est-ce un hasard si la représentation aboutie de la perspective en peinture précède de moins d’un siècle l’apparition du concept d’utopie forgé par More ? C’est ainsi que la Renaissance se libère de la représentation féodale selon laquelle le plus petit n’est pas le plus éloigné, mais le moins grand – symboliquement le dominé – tandis que le dominant sur son trône occupe tout entier l’espace du regard. Utopie ? Mise en perspective ? Lignes de fuite… Espace –  where  – et temps –  now  – ouverts à d’autres possibles – pourvu qu’on ait la vue longue ? L’exact contraire de la désertion.

« Les lignes de fuite, ne consistent jamais à fuir le monde, mais plutôt à le faire fuir comme on crève un tuyau, et il n’y a pas de système social qui ne fuie par tous les bouts, même si ses segments ne cessent de se durcir pour colmater les lignes de fuite. » (Deleuze, Guattari, 1980, 249)

20 Evoquer les lignes de fuite au sens deleuzien (et guattariste), c’est, en effet, percevoir dans le «  toboggan des possibilités  » ( id., 245) la tentative d’échapper aux lignes dures, ces «  paquets de lignes  » ( id., 247) qui nous donnent l’apparente liberté de passer de l’une à l’autre, alors que toutes sont tracées d’avance par les dispositifs du pouvoir. Ces lignes, ce sont, par exemple, les itinéraires fabriqués par les compagnies de tourisme – mal nommées compagnies de voyage  – itinéraires «  coutumiers » , inventés pour distraire, mais qui se constituent en réalité sur le mode de l’itinéraire résigné.

  • 18  Le premier voyage de Christophe Colomb est en quelque sorte l’archétype du voyage utopique : «  La (...)
  • 19  Dans le cas de Colomb et de ses successeurs, ce fut une domination coloniale brutale et le tracé t (...)
  • 20  Giovanni Boccace écrit le Décaméron en 1348/ 1353, bien avant L’Utopie de More (1516). En Italien (...)

21 Or à l’inverse du voyage organisé, l’utopie sociale est une échappée à risque 18 . A l’évidence, il y a le risque du naufrage. Mais le naufrage au regard de l’aventure est-il autre chose qu’un risque assumé ? Il y a aussi le risque de n’arriver nulle part. Lors de son premier voyage, Christophe Colomb était-il assuré d’avoir choisi la bonne voie ? Et pour aller où exactement ? Il y a surtout les dangers propres à toute ligne : sous le dehors du voyage en terres inconnues peut affleurer la tentation du cercle, au détriment des lignes actives 19 . Cette tentation, c’est par exemple, celle des protagonistes du Décaméron de Boccace 20 . Nous sommes en 1448. La Peste noire ravage l’Europe. Tout le monde est frappé ; les pauvres surtout comme si cela ne suffisait pas d’être misérables. Dix jeunes gens fortunés décident alors de fuir les touffeurs de la cité et de se retirer dans la campagne Toscane. S’agit-il de jouir d’un Eden mondain ou de fracturer la tentation du huis clos ? Dix jours, dix jeunes gens, dix récits racontés chaque jour. Fanatisme religieux (tous les monothéismes y passent), prélats stupides et corrompus, seigneurs sans foi ni loi, femmes vassalisées, prostituées, mises à mort, cocus à la pelle (il faut une justice), petit peuple soumis à l’exploitation, à la goinfrerie de maîtres assoiffés de richesse ; iniquités, trahisons, meurtres, misère, exploitations éhontées… (et combien de lignes de fuite ?), démontrent l’impossibilité du cercle – l’absurdité (la «  bassesse » , dirait Lévinas) du sauve qui peut. L’ être pour soi signe un fantasme de temps sans histoire ; une «  obscure clarté qui ne tombe d’aucune étoile  » (Deleuze, Guattari, op. cit. , 278). C’est pourquoi, le retour des jeunes gens dans Florence assiégée par la Peste coule de source. S’agit-il de revenir à la case départ ? Il faudrait supposer que nous sommes dans le régime de la répétition – que rien ne s’est produit sinon le voyage immobile qui va de soi à soi. L’exact contraire de l’intention de Boccace.

  • 21  On peut mettre en lien les pages de Mille Plateaux (250, 251) avec le film très Deleuzien d’Alain (...)

22 A contrario , il y a les aventures sans retour. Celle par exemple des mutins du Bounty, dont les descendants peuplent aujourd’hui l’île de Pitcairn : dans ce cas, ce fut une reterritorialisation abjecte – la victoire des lignes dures – rivalités, conflits, meurtres en série ; l’équivalent d’un naufrage. Rien de plus triste qu’un ordre social définitif, réalisé en huis clos 21 . Si bien qu’à tracer leurs lignes de fuite, les utopies sont toujours menacées de retomber dans les segments durs, de fabriquer à leur tour de l’habitude et du repli. Oui, le risque est toujours là «  d’une restauration de la transcendance et parfois son orgueilleuse affirmation » ( id. , 251).

  • 22  Il n’est pas sans intérêt de remarquer que la Nouvelle Icarie de Cabet est pensée sur un plan circ (...)
  • 23  »  C’est après s’être baignés, et seulement toutes les trois nuits qu’ils (hommes et femmes) peuven (...)

23 Ainsi, au croisé des lignes dures, certaines utopies peuvent finalement préférer le glacis à l’élan : la société de Tommaso Campanella, l’Icarie d’Etienne Cabet à bien des égards, le Panoptique de Jeremy Bentham 22 … Et peut-être, pourquoi pas – les utopies peuvent-elles tomber malade ? Paul Ricœur évoque à ce sujet les «  pathologies de l’utopie  » (2016, 37). Ainsi, dans la Cité du Soleil de Campanella, le pouvoir central administre chaque parcelle du corps et chaque instant de la vie des individus 23 . L’élan utopique (faut-il encore l’appeler ainsi ?) est alors pris dans les rets de la pensée dominante  ; la société «   disciplinaire  » de Campanella, n’ est-ce pas l’expression du biopouvoir dont Michel Foucault nous montre qu’il émerge à l’âge classique – biopouvoir dont nous sommes plus que jamais aujourd’hui les cobayes ? Ici, Léviathan, auquel l’utopie est censée s’affronter, renaît de ses cendres.

24 C’est donc au risque de la perdition (tempête, erreur de navigation ; ni boussole ni cartes n’indiquent la bonne direction) que les voyageurs finissent par bifurquer sur une terre inconnue : Thomas More, Bacon, Rabelais, Swift… Ce passage de la mer à la terre, ce pied à terre sur un lieu éloigné mais actuel, cette apparente territorialisation, signifient-ils qu’ au retour les lignes de fuite vont s’interrompre, se durcir, se casser, retomber dans un projet planificateur finalement prévu dès le départ ? C’est la tentation de Raphaël (le protagoniste de l’Utopie) – la voie unique, à la manière de Platon – à laquelle More, on l‘a vu, oppose les itinéraires transversaux. Car si le now here des premiers voyages utopiques nous revient, ce n’est pas pour nous distraire, mais pour déconstruire la croyance en une version ultime du politique, celle où les lignes de fuite retombent et où le devenir ne trouve plus sa place ; là où les «  sourds surdissimes » (More, op ; cit., 125) n’entendent rien que leurs intérêts immédiats et ne connaissent que les rapports de domination. Toutes choses que nous connaissons d’expérience.

  • 24 «   Il a toujours existé une littérature de divertissement, une littérature, veuxje dire, ne se char (...)

25 Or, encore une fois, les utopies sociales – pourvu qu’elles échappent à la tentation de la régression – n’ont pas pour mission de nous imposer un modèle maître sur lequel nous devrions décalquer nos propres parcours. Leur intention est de prendre la mesure entre ce qui est et ce qui pourrait être. Si la tentation survient de verser dans la modélisation, c’est l’humour, la dérision, le rire qui tracent leurs lignes de fuite : car il faut se garder de la prétention à l’unique. Et de l’ironie au burlesque, de l’humour à la parodie, de la satire à la franche rigolade, il n’est pas question de se divertir ( devertere – se détourner) mais de créer du sens 24 . Que cela participe d’un «  caractère destructif, jeune et gai  » (Benjamin, Critique et Utopie , 148), voilà qui règle son compte à la réputation lénifiante qu’on inflige aux utopies sociales.

26 Erasme écrit l’Eloge de la folie. Thomas More recourt volontiers à la satire. Cyrano de Bergerac prend le parti du comique… Et que dire de Rabelais ? Saint Simon rit sous cape, Fourier se fend la pêche. Même Walter Benjamin c’est dire nous parle de gai savoir ! «  Au diable les pompeuses vanités  ». Les livres ne sont pas faits, nous dit Erasme, pour démontrer la compétence légitime d’un auteur sa capacité à écrire une œuvre «  seigneuriale » compatible avec la «  bonne société  » (Erasme, Eloge de la Folie , préface, 12).

« D’autres objecteront, je n’en doute pas, que ces pages renferment trop de mots joyeux ou de plaisanteries, et qu’elles ne conviennent point au style d’un homme grave, doté d’un certain poids. C’est un devoir pour moi que de remercier ces personnes pour le zèle qu’elles prennent à ma gloire. » (Boccace, Le Décameron , 704)
  • 25 «   Communiquer à mots couverts, s’entreconnaître, malgré les institutions en place, malgré les reli (...)

27 Bien entendu, le rire relève en partie de cette stratégie de l’oblique qu’évoque Abensour 25 . L’état social est percé à jour, mais l’écrivain évite la pénible expérience de la censure, du bûcher ou de l’échafaud. Car penser en Europe, durant des siècles, n’est pas une voie (voix) sans risque. Lucilio Vanini ? Giordano Bruno ? Brûlés après avoir été torturés. Galilée ? Il échappe de justesse au bûcher. Descartes ? Il est censuré par le Saint Office. Spinoza ? Il ne publie qu’un ouvrage de son vivant. L’abbé Meslier ? Il rédige en secret un Testament qu’il confie à des copistes. Sade ? Il meurt dans un asile d’aliénés. Et cætera. Bon nombre d’écrits libres, jusqu’à la Révolution française, conservent la forme manuscrite et se distribuent sous le manteau.

26  On peut lire à ce propos l’étude de Pierre Le Goff (1989) sur le « Rire au Moyen Age ».

28 Mais personne n’est dupe. Il faut prendre le rire au sérieux. C’est ce que font les censeurs 26 . Le rire fait mauvais genre. Il frise le dénigrement. Il exalte le refus des grands systèmes, des édifices fabriqués par l’homme au nom d’un dieu à qui l’on fait dire n’importe quoi. C’est la diagonale du fou. L’esprit de sérieux – celui des «  Saintes Nitouche  » (Boccace, id., 701) associe, non sans raison, le rire à la licence. Sous prétexte que l’on rit et que l’on fait rire, on se croit tout permis. Mais contre les méchantes langues (par exemple la langue scolastique), on se doit de tenir bon :

« Pourquoi ne conserverais-je pas mon franc-parler avec vous ? dites-moi, est-ce la tête, la figure, la poitrine, la main, l’oreille, ou telle autre partie du corps dite honnête, qui possède la vertu de reproduire les dieux et les hommes ? non pas, si je ne me trompe ; mais bien certaine autre partie, si folle, si bouffonne, qu’on ne peut la nommer sans rire. » (Erasme, op. cit., 24).

29 Ainsi, les lignes de fuite courent, traversent et percent les territoires du genre et des registres – non pour les réfuter, mais pour libérer leur énergie, leur force vitale. Les utopies sociales sont une écriture transgenre. Fables, romans, contes, essais, dialogues, lettres, poèmes, pamphlets, récits, traités. Est-ce à dire que tout se vaut et que l’éclectisme fait loi ? Mais non ! Il est simplement urgent de se soustraire à la pensée droite – celle que nous appelons aujourd’hui la pensée unique pour se soumettre à l’épreuve du sens. Quels autres possibles seraient possibles qui ne seraient pas la forme travestie du même ? Comment conjuguer le doute et l’élan ? Premier impératif : pas question de pontifier du haut de sa chaire. Il faut parler diversement (chaque voie est unique) dans la langue des hommes.

30 « Il serait par trop injuste d’interdire aux gens de lettres des distractions permises dans toutes les autres conditions de la société, surtout lorsqu’au fond de leurs badinages se trouvent cachées, sous une forme agréable et adroite, des choses qui éveillent chez le lecteur un peu fin, certaines idées qu’il n’eût jamais tirées de pompeuses gravités que nous pourrions citer ! » (Erasme, op. cit., 12).

31 Cette insistance des penseurs de la Renaissance à défendre le franc-parler signe le refus obstiné d’enclore la pensée dans l’enceinte du livre savant. Lignes de fuite, utopiques par excellence puisqu’il s’agit de délier le Dire de son appartenance de caste, de l’incarner comme parole vive – commune à tous. Le livre n’a de sens que s’il est en prise directe avec la vie. Or saper l’ entre-soi de la culture, c’est en premier lieu rendre justice au fond matérialiste et jouissif de la culture populaire. Car la disposition utopique est aussi celle des pauvres trop souvent confrontés au manque pour en faire une éthique. Quand on vit le plus souvent le ventre vide, on préfère s’adonner à la philosophie du plein. Si bien qu’à y regarder de près, les récits utopiques de la Renaissance en puisant à la source de la culture populaire, traduisent, poussent à l’extrême, exaltent comme jamais, la parole commune – paroles et musique. L’utopie des modernes se réalise ainsi sous le signe de la rencontre, et non celui de l’instruction .

  • 27  L’interprétation, c’est fruit défendu. Les premières traductions de passages de la Bible en langue (...)

32 Paradoxe s’il en est : utopistes et censeurs ont en commun de croire en la porosité des livres, à leur pouvoir de traverser l’enceinte des bibliothèques. Ils n’ont pas tort. L’édition de la Bible en langue vernaculaire – en ouvrant la voie à l ’interprétation n’a-t-elle pas contribué à produire un train d’ondes sismiques ? 27 Combattre pour la traduction et pour l’écriture en langue «  vulgaire », dont Dante fut l’initiateur, c’est donc faire de la politique à l’encontre des intégristes de tous poils. Aussi, lorsque la machine du pouvoir se sent menacée de «  fuir par tous les bouts » , c’est l’autodafé des livres et la mise au bûcher des écrivants.

« Les lignes de fuite sont des réalités ; c’est très dangereux pour les sociétés, bien que celles-ci ne puissent sans passer et parfois les ménagent » (Deleuze, Guattari, op. cit., 250).

33 Réfuter la posture du Maître, s’épargner les génuflexions, mettre à l’examen les certitudes gravées dans le marbre, c’est dans l’intention et dans la trace ce qui caractérise l’utopie des modernes. L’espérance est-elle qu’en parlant la même langue, on parle le même langage ? Cette espérance en tout cas se décline sous le signe du dialogue, de l’intensité, de l’urgence. Le contraire de certaines fantaisies utopiques du xviii e , robinsonnades au Petit Trianon ou pèlerinage courtois à l’île de Cythère. Rien à voir, non plus, avec un inconscient qui réclamerait sa part de joie à l’insu du rêveur. Si les utopies devaient être consignées dans le stock des fantasmes, à quoi bon tout ce remue-ménage autour de l’insurgent utopique ? Car il s’agit toujours, et cela depuis le début, de percer à jour la réalité du politique pour la subvertir, lui ôter toute prétention à se présenter comme un présent indépassable. Dans ce sens, l’utopie dès les premiers voyages, se donne comme une puissance d’éveil .

34 S’il y a rêve, c’est d’un rêve doublement éveillé dont il s’agit. «  C’est avec l’utopie que la philosophie devient politique, et mène au plus haut point la critique de son époque. L’utopie ne se sépare pas du mouvement infini : elle désigne étymologiquement la déterritorialisation absolue, mais toujours au point critique où celle-ci se connecte avec le milieu relatif présent, et surtout avec les forces étouffées par ce milieu . » (Deleuze, 1991, 101)

35 Ainsi les lignes de fuite utopiques sont-elles bien plus qu’une oblicité nécessitée par la prudence : on peut parler avec Deleuze ou Abensour d’élan, d’intensité, d’excès, d’ excédent , de joie, de plaisir, de prise de risque. Tout le contraire de «  l’idéal transcendant qui fait du désir un manque  » (Deleuze, Guattari, op. cit., 191). La bonne Nouvelle , c’est la jouissance pour tous. Or jouir , dès le xv e siècle appartient tout à la fois au vocabulaire juridique et hédonique. D’où la question qui court tout au long de l’époque moderne : peut-on privatiser la jouissance, enclore la terre, démanteler le commun ?

  • 28  Zénon de Citium ( La République , – 300) ; Diodore de Sicile ( L’île du Soleil de Iamboulos , 1er sièc (...)

29 «   Tout est à tous.  »

36 Depuis l’Antiquité 28 jusqu’à l’aube de l’ère industrielle, penser l’égalité, c’est penser d’abord la terre commune – les champs ouverts, les pâturages libres, les chemins communaux, les coopératives agricoles. «  Omnia sunt communia  » 29 . Est-ce un mot d’ordre ou un mot de passe – un «  mot de passage  », dirait Deleuze ? Passage en force, en douce, passage en biais ? Tout dépend des utopies. En Angleterre, la lutte contre les enclosures a duré plus de trois siècles. Elle a donné lieu à des répressions sanglantes. Preuve qu’en privatisant le commun , on produit l’état de guerre. Cette idée n’est pas nouvelle : Platon, pensait déjà que la propriété privée est la source principale des violences au sein de la Cité. Sa Constitution inclue la communauté de biens. Mais elle inaugure une ligne autoritaire dans laquelle l’exigence d’ordre prend le pas sur le bonheur individuel. Tandis que les utopies des modernes font de l’égalité réelle la condition nécessaire pour que chacun puisse prétendre au bonheur. D’où la prise de distance radicale avec l’ordre socioéconomique inégalitaire ; priorité est donnée au commun  : ni propriété, ni surplomb. Car si la propriété, c’est la captation des terres par les riches et la misère pour les pauvres, c’est aussi le savoir confisqué par les Maîtres et finalement, le pouvoir politique aux mains d’une minorité égoïste et cupide.

« Afin qu’un seul goinfre à l’appétit insatiable, redoutable fléau pour sa patrie, puisse entourer d’une seule clôture quelques arpents d’un seul tenant, des fermiers seront chassés de chez eux, souvent dépouillés de tout ce qu’ils possédaient, circonvenus par des tromperies, ou contraints par des actes de violence. » (More, op. cit., 100)

37 Donc, chez les Utopiens, ni de riches ni de pauvres. Le travail de tous n’est la corvée d’aucun. Le surproduit social, habituellement capté par quelques-uns, n’a plus de raison d’être. D’où un temps de travail limité. De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins… Chez More, les vases de nuit sont en or preuve que la valeur s’est déplacée de la matière vers l’esprit. La négativité (ni puissance transcendante, ni hiérarchie sociale, ni monnaie, ni rivalités) s’accomplit en positivité joyeuse, libérée des artefacts de la société inégalitaire. La fête court de siècle en siècle, depuis Diodore de Sicile jusqu’aux temps contemporains : négativité de la négativité : «  Il est interdit d’interdire.  » L’Etat n’a d’autre fonction que de veiller au strict respect de l’égalité. Point d’entourloupes. Pas de traîtrise. «  La justice fait figure de vertu humble et populaire.  » ( id., 199)

30  Quand on songe que Thomas More a été béatifié ! Voilà un Saint qui défrise  !

38 Si les Utopiens sont pieux – d’une piété candide qui n’a pas encore connu la Révélation – toutes les croyances sont permises et même l’athéisme pourvu qu’il ne fasse pas publicité de son incrédulité… 30

  • 31   »  Je veux parler de l’insularité, l’insularité qui est l’unité d’un enfermement et d’une ouvertur (...)

39 Faut-il voir dans le récit utopique, initié par More, le double héritage d’un âge d’or irrémédiablement perdu (Hésiode, Ovide) et/ou celui des prophéties juives ou du millénarisme chrétien – un paradis terrestre sous condition, dont on ne sait trop quand il finira par advenir ni à quel prix ? Certes l’apparition de l’île peut évoquer la concrétion, la territorialité : d’où le soupçon d’un arrêt sur image, d’une réalisation achevée, d’un modèle définitif. Mais qui prétend que cette île est la seule, plantée au milieu de l’océan en attente de la découverte ? Et peut-on oublier que de l’île – une fois que le voyageur de passage en a fracturé l’autarcie – on en revient toujours. 31 C’est le différentiel entre le continent et l’île qu’il faut interroger. Que serait le sujet humain si nous nous libérions de la tyrannie du discours-maître qui fait de l’inégalité – de la propriété et de la division sociale – le seul ordre social possible ? L’utopie déconstruit le jugement d’inhérence du politique, ses prétentions essentialistes, sa bonne conscience et ses dogmes. C’est pourquoi la connexion avec le réel se fait sous le signe de l’élan dont le voyage trace les lignes de fuite.

« La voie détournée n’est pas seulement lutte contre l’opinion faite, celle qui résiste à la nouveauté, elle est également lutte contre l’opinion se faisant, se rigidifiant, celle qui dégrade une idée ou un principe en idéologie. » (Abensour, 2009, 53).

40 Diagonale du fou ? On sait avec Erasme que le Fou n’est pas toujours celui qu’on imagine. Par le biais de l’utopie, il est donc possible de se déprendre de la fatalité. Rien n’est écrit pour toujours. Il est possible de bifurquer. «  Seul le chapitre des bifurcations reste ouvert à l’espérance  » (Blanqui, Maintenant il faut des armes , 106).

« Le mot d’utopie désigne donc cette conjoncture de la philosophie ou du concept avec le milieu présent : philosophie politique (peut-être toutefois l’utopie n’est-elle pas le meilleur mot, en raison du sens mutilé que l’opinion lui a donné) » (Deleuze, op. cit., 101).
  • 32  Mais ne soyons pas naïvement dualistes : lignes dures et lignes souples peuvent s’emmêler, s’enrou (...)

41 Il y a des îles qui souffrent de la nostalgie des continents et celles qui s’en détachent. Celles qui ne pensent qu’à renforcer la domination de l’Etat sur la vie et celles qui tentent d’abolir les visées normatives de l’Etat et, ce faisant, échappent à sa force de gravitation 32 . Ainsi, l’île de More n’est-elle pas celle de Daniel Defoe. Dans l’île nue, Robinson reproduit sans complexe les mécanismes de domination de l’homme sur l’homme. C’est un bourgeois démiurge. Son île est l’occasion d’une mise à l’épreuve des principes de la société inégalitaire. Tandis que l’élan utopique défait les surplombs – Raphaël, lui, s’est dépouillé de sa condition sociale et de sa fortune ; il court le monde «  par vocation personnelle, en homme qui se soucie plutôt de courir le monde que de savoir où il sera enterré . » (More, op. cit. , 86) Ni bagages, ni servitude : et de cette liberté surgissent la rencontre, le dialogue, et avec eux, la présence ininterrompue de l’objection. N’est-ce pas une manière de se débarrasser de l’illusion de l’achèvement et de conjurer la fatalité du même ?

42 Tous les marins savent que la terre est ronde et que l’horizon est, par définition, hors d’atteinte. Cela ne veut pas dire qu’il faille rester au port. En ce sens, l’inachèvement de l’utopie – sa culture de l’improbable rencontre avec d’autres possibles – n’est pas le signe d’une impotence. Au contraire. Le récit utopique, en mettant les dogmes à l’écart, congédie l’hypothèse d’une fin de l’histoire et d’un achèvement du politique. Elan inextinguible des lignes de fuite, élan sans lequel les sociétés humaines sont des choses mortes.

« Qu’il nous suffise de poser, à l’adresse des pourfendeurs de l’utopie, qu’une société sans utopie, privée d’utopie est très exactement une société totalitaire, prise dans l’illusion de l’accomplissement, du retour chez soi ou de l’utopie réalisée. » (Abensour, 2009, 15)
  • 33  »   Le Droit naturel fait le point sur son objet, le centre, le revendique sur le champ, intervient (...)

43 On comprend pourquoi, comme l’écrit E. Bloch (1982, 110 et s.) les théories du droit naturel ont fait trace dans la Révolution plus que les utopies sociales – même si on ne peut nier l’existence d’une parenté entre les théories du droit naturel et les utopies des modernes. Le droit naturel est immédiatement traduisible en termes juridiques 33 . Il met définitivement fin aux prétentions du féodalisme trinitaire . Il proclame l’universalité des droits humains et fonde les bases principielles de la démocratie. Mais l’héritage du jusnaturalisme, c’est aussi la rationalité économique, la garantie de la propriété privée, la récompense du mérite (dont la figure idéalisée est l’entrepreneur). La «  part d’excédent  », (Bloch) de jouissance, l’Eros utopique et plaire, «  l’égalité de fait » réclamée par Gracchus Babeuf, le surgissement des possibles – leur incongruité – sont mis sous séquestre. Une Constitution n’est pas un hymne à la joie, mais un compromis viable. Le «  bonheur de tous  » inscrit dans le préambule de la Déclaration de 89, disparaît de la Constitution de 91 ; le suffrage censitaire est rétabli : il est démontré du même coup que l’égalité de droit est toute relative, et qu’elle ne recouvre pas l’égalité de fait.

« … l’erreur la plus funeste, et la plus cruelle dans laquelle l’assemblée constituante, l’assemblée législative et la convention nationale, sont tombées, en marchant servilement sur le pas des législateurs qui les ont précédés, c’est de n’avoir pas marqué les limites du droit de propriété, et d’avoir abandonné le peuple aux spéculations avides du riche insensible. » (Babeuf, Le Manifeste des plébéiens, 24).

44 Bientôt, la mainmise sur l’appareil d’Etat par la bourgeoisie, le holdup sur la propriété terrienne par les spéculateurs, le triomphe du capitalisme industriel et marchand, l’organisation de la concurrence et de l’exploitation du prolétariat qui s’en suivent colmatent les passages ouverts par la Révolution à commencer par «  la jouissance pour tous  » des Sans Culottes. La suite, c’est le Directoire, la liquidation de Gracchus Babeuf par la répression thermidorienne, le Consulat, l’Empire et finalement la Restauration… La catastrophe de 1848 met un terme aux échappées progressistes des Lumières. Dès lors, la preuve est faite qu’on n’est pas arrivés au bout de la nuit.

« La Triade Sabre-Ecu-Goupillon est toujours souveraine » (Blanqui, op. cit., 71)
  • 34   »  Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens a (...)
  • 35  On peut interpréter l’utopie de Denis Diderot comme une réminiscence de la pensée de Thomas More – (...)

45 Ce n’est donc pas la part utopique de la philosophie des Lumières – celle de l’origine de l’Inégalité 34 ou du Supplément au Voyage de Bougainville 35 qui a finalement triomphé. Car tout en faisant montre de récuser l’Utopie, Rousseau n’a jamais renoncé à mettre le bonheur au compte du commun . Voltaire avait beau ricaner, le bonheur est aussi une question politique.

46 D’où le surgissement ultime d’une île séparée de la tentation bourgeoise de faire de l’utopie concrète une affaire classée.

47 La Corse de Pascal Paoli offrait, en effet, à Jean-Jacques Rousseau l’occasion d’opérer la jonction entre utopie insulaire et droit naturel. En 1764, l’impérialisme génois était en partie défait. L’île se présentait comme un espace-temps improbable, une Fortuna qu’il fallait saisir par les cheveux. Ce n’était pas une page blanche, une île nue, mais un corps complexe fait de montagnes, de maquis, de sauvage indépendance, d’héritages séculaires, de féodalités brutales, de pauvreté criante et de guerre perpétuelle contre la domination génoise. La preuve que l’Etat de guerre est la conséquence de la domination et non un état originel. Hobbes d’ailleurs avait sous-estimé l’esprit de liberté, le courage obstiné, la volonté inextinguible des humains à être leur propre maître. Il n’y a pas de servitude volontaire… Conduits à la paresse par le pillage systématique des richesses que les Génois avaient savamment organisé durant des siècles, les habitants de l’île allaient saisir l’occasion de reconquérir leur terre et de se libérer de l’esclavage.

« Noble peuple, je ne veux point vous donner des lois artificielles et systématiques inventées par des hommes mais vous ramener sous les seules lois de la nature et de l’ordre qui commandent aux cœurs et ne tyrannisent pas les volontés. » (J.J. Rousseau, Projet de Constitution pour la Corse, in Œuvres complètes, 930).

48 Fini les fiefs et droits féodaux, les prérogatives d’une aristocratie complice de l’occupant, les luttes intestines : «  Tous fiefs, homages, censes et droits féodaux, cidevant abolis le seront donc pour toujours, et l’Etat rachettera ceux qui subsistent encore en sorte que tous titres et droits seigneuriaux demeureront éteints et supprimés dans toute l’Isle  » ( id. , 910). Une occasion se présente de mettre le passé hors d’état de nuire et d’inventer une nouvelle terre sans le maillage de l’enclos. Si la propriété subsiste, elle est réduite à la portion congrue.

49 A partir de la réalité Corse – sa géographie, le caractère naturel de ses habitants – Rousseau trace à grands traits un autrement possible ; une République «   simple et rustique   », à l’écart des grands circuits marchands et de la contamination capitaliste, où chacun aurait sa part en fonction de ses besoins. Comment ne pas penser à l’Utopie de More ? «  Pour éveiller donc l’activité d’une nation il faut lui présenter de grands désirs, de grandes espérances, de grands motifs positifs d’agir  » ( id. , 937). Pourvu seulement que la terre ne soit plus une marchandise mais un moyen de subsistance pour tous ; que le capital privé disparaisse autant que faire se peut ; que les finances publiques (impôts, taxes, et/ou travail communal) servent exclusivement au bienêtre général. «  Je veux qu’on dépense beaucoup pour le service de l’état  » ( id. , 930) Etat providence centralisé ? Non. Décentralisation maximale et démocratie directe en écho à la géographie de l’île et au caractère indépendant du peuple corse. «  Lorsque l’autorité suprême est confiée à des députés, le gouvernement change et devient Aristocratique.  » ( id. , 907) D’où une administration communale par le commun pour le commun. La nationalité corse reviendrait à ceux qui naissent dans l’île. Mais une fois atteint l’âge adulte, une fête solennelle – un serment public – confirmerait l’adhésion à la citoyenneté. Car celle-ci, en plus d’être un droit de naissance, est aussi un acte de volonté.

50 Nous connaissons la suite. La Corse, vendue par Gênes, est reconquise par Louis  xvi . Au désespoir de Rousseau, c’est la fin de l’échappée républicaine de Pascal Paoli.

Utopies sociales et révolution

  • 36   » Ce bouleversement continuel de la production, cet ébranlement ininterrompu de tout le système so (...)

51 Mais au xix e , dans une atmosphère positiviste jusqu’à l’emphase, les utopies sociales se trouvent prises dans une configuration inédite : le capitalisme prétend démontrer, jour après jour, la puissance créatrice d’une libéralisation généralisée des flux. Le développement continuel du progrès scientifique, technique, industriel, la tendance inexorable à l’universalité d’un ordre nouveau qui code et décode les flux selon ses intérêts du moment : c’est l’œuvre de la grande Industrie et d’un Capital mobile , libérés des entraves de l’Ancien Régime 36 .

52 D’où parfois, une sentimentalité à laquelle même le jeune Marx n’échappe pas : «  La bourgeoisie a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste  » (Marx, Engels, op. cit., 23). Sentimentalité d’ailleurs frappée d’obsolescence depuis un bon bout de temps. Eh quoi, s’exclamait Mandeville au début du xviii e   : «   Que la ruche cesse ses murmures  !  » (Mandeville, La Fable des abeilles ) Si la marche ininterrompue du progrès et la richesse des Nations, est l’œuvre des «  fripons » qu’importe ? La ruche entière n’y trouve-t-elle pas finalement son intérêt  ? Les mauvais esprits ont beau rétorquer  : «  On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance  !   » (Mai 68)  ; le capitalisme, dit libéral, persiste et signe en prétendant fonctionner sur un laisser-passer tous azimuts des flux. Si l’Intérêt privé («  l’harmonie des intérêts  » d’Adam Smith) profite à tous, éclaire l’humanité et la hisse de la sauvagerie à la civilisation ; si le Commerce et l’Entrepreneuriat sont partie prenante du progrès des Nations – progrès exportable à l’échelle du monde ; si l’Etat concède à chacun (plus ou moins) le droit d’élire les meilleurs afin de servir le bien général, les utopies ne sont-elles pas battues sur leur propre terrain ? En matière de libération des flux, les utopies auraient-elles trouvé plus fort qu’elles ?

53 A condition, rétorquent les utopistes, de passer sous silence la rétention, l’accumulation, les boursouflures, l’accaparement, l’agiotage, les monopoles, bref «   la spoliation du corps social   » (Fourier, op. cit. , 245). Car non seulement le capitalisme engraisse les paresseux (Saint-Simon) mais il impose à tous une jouissance sans cesse différée en vue de l’accaparement (Fourier, Owen). Ni Sympathie (Saint-Simon), ni Harmonie (Fourier), ni perspective d’égalité réelle (Cabet), ni jouissance partagée de la valeur produite (Owen), tout se conjugue en termes d’appétit insatiable – une boulimie de profit jamais suffisante. Est-il juste dans ce cas de parler de libéralisme ? S’il faut trouver un commun aux utopies socialistes, c’est bien l’exaspération face à cette prétendue libération des flux et à l’ambition du modèle supposément libéral de clore l’histoire en prétendant la couronner. Car le capitalisme se donne comme le roman à succès de l’humanité monde. Mais c’est un roman sans suspense ; l’explicite est noué dès le commencement : il s’agit d’étendre une domination totale jusque sur les continents les plus lointains et – pourquoi pas – sur les planètes mortes. Pour tout changer, il faut que rien ne change. Le cogito, pris en otage, est mis au service de l’accumulation.

37  Ou du « Droit à la paresse » de Lafargue…

54 Or il suffit de mesurer l’écart entre le «  travailler plus pour gagner plus  » du Capital et la quête du bonheur par le «  souverain plaisir  » d’un Fourier 37  pour comprendre de quel côté se joue la libération des affects joyeux. Le sensualisme amoral au lieu de la moralité hypocrite (les moralistes prônent la pauvreté mais s’en mettent plein la panse) ; la «  majorité amoureuse  » (Fourier, op. cit., 133 et s.) en place de la sujétion perpétuelle – celles des femmes, par exemple ; la pulsion de vie à l’œuvre dans un Phalanstère joyeux – bonne chère (chair) et bon vin ; le festoiement, la fin de la monogamie et de la domination masculine, le travail libéré de l’astreinte (l’attraction passionnée au lieu du travail forcé) ; bref, les passions heureuses contre les passions tristes…

55 Un nouveau paganisme ? Ça parle, ça résonne, ça n’en finit pas de se donner à désirer. On s’exclame volontiers à la façon de Deleuze, «  quelle erreur de dire le ça…  »

56 Le xix e siècle ne s’y trompe pas : avant et après l’écrasement des révolutions européennes de 1848, les phalanstères, les communautés anarchistes, les colonies lointaines, se multiplient comme des petits pains en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique latine : la tentation est grande pour les vaincus (ceux qui ont échappé au bagne ou à la prison) d’expérimenter un commun autogestionnaire, sans Dieu ni Maître et sans Etat. Désormais, sans aucun doute les utopies sont concrètes. Rien d’étonnant à ce qu’aujourd’hui encore des phalanstères continuent de creuser des passages dans les sociétés bétonnées par la mondialisation : il n’y a pas de fin à l’histoire et le désir jamais ne s’exténue. Désir à portée immédiate : que nul n’ait plus jamais ni faim ni soif ; que nul ne soit condamné à se vendre comme esclave ; que nul ne soit privé de sa puissance créatrice et de son droit à la jouissance ; que nul ne puisse prétendre être le maître de quiconque ; que nul ne voit son destin forcé par la loi du profit…

57 Faut-il voir là des îlots dispersés à vie réduite qui ne méritent pas qu’on s’y arrête ? Ou des devenirs obstinés, créatifs et tout compte fait, révolutionnaires ? «  Par rapport à la culture dominante, on peut dire des grands utopistes qu’ils sont des barbares. Or la barbarie, au sens de Michelet, peut être un des signes auxquels on reconnait la renaissance de l’esprit  » (Abensour, 2016 , 56). En quoi consiste cette «  barbarie  », sinon à «  tendre au règne des forces actives  » ? ( id., 57). On dessine des perspectives, on inaugure des pratiques sociales alternatives, on trace les conditions matérielles d’un possible désirable. Laissez-passer ? Oui. Quoi ? La vie.

58 Car enfin l’urgence est là. «  Oui l’absurdité est générale tant que vous ne savez pas remédier au plus scandaleux des désordres sociaux, à savoir la pauvreté   » (Fourier, op. cit. , 185). La pauvreté met à sac la grammaire des échanges ; elle invalide l’hypothèse d’une société véritablement démocratique ; elle prive l’individu de son humanité ; elle discrimine, exclue, déchire le tissu social. Elle abêtie, bestialise, asservi les uns au profit des autres. Elle réduit à rien la prétention libérale à incarner une liberté sans limites. Au lieu de circuler comme un sang dans le corps social, les flux du capital se figent, coagulent, anéantissent les prémices sur lesquels se fondent son supposé libertarisme.

59 De fait, la misère n’est pas seulement le symptôme d’une maladie sociale ; elle est l’insigne du monde capitaliste. Pour que les uns amassent, il faut que les autres travaillent pour seulement subsister ; et puisque la soif de capital est insatiable, il faut que ce travail n’ait de cesse. Mais qui peut consacrer librement sa vie entière à produire des richesses dont il ne profite jamais ? Il est clair, pour Robert Owen, par exemple à bien des égards héritier des Niveleurs que le travail industriel est un travail forcé , une mortification : il capture la totalité des forces vitales des ouvriers, les condamne à n’être plus qu’une multitude misérable, illettrée, «  superstitieuse  », «  dépravée  », alcoolique, «  plongée dans le crime et la misère  » (R. Owen, Institutions pour améliorer le caractère moral du peuple , 6) portée à la violence à cause des «  mauvais traitements  » ; une longue lignée de Rougon-Macqart marqués au fer rouge par la fatalité sociale, dégénérés, abêtis par un travail arasant qui commence dès les premières années de vie. Le système économique et social, en perpétuant le châtiment d’Adam, enclave, emprisonne, mortifie et anonymise des individus désormais interchangeables. Comment de cet enfer la vie pourrait-elle surgir ? Comment un peuple conduit à l’ignorance pourrait-il seulement penser les conditions objectives de sa libération ? Et comment imaginer un autre avenir sans se promouvoir maître à penser ?

«  Comment arriver à parler sans donner des ordres, sans prétendre représenter quelque chose ou quelqu’un, comment arriver à faire parler ceux qui n’ont pas le droit, et à rendre aux sons leur valeur de lutte contre le pouvoir  ?  » (Deleuze, 1990, 61).

60 Les humanistes de la Renaissance avaient espéré la fin des enclosures de la terre et de l’esprit ; ils militaient pour un commun de la connaissance, un décloisonnement des savoirs, une synthèse de la culture populaire et de la culture savante. Mais les paysans déracinés qui peuplent les alentours de l’usine n’ont, pour l’instant, ni les armes de l’expérience ni celles du savoir ; face aux roueries de la politique, ils ne font pas encore le poids. Tout est d’ailleurs fait pour les maintenir dans l’ignorance. Même les petits enfants vont à l’usine ou descendent à la mine. Pardessus le marché, comme l’écrit Blanqui en 1832, la presse des rues est bâillonnée. Colporteurs et colleurs d’affiches qui firent les beaux jours de la Révolution française sont persécutés, mis en prison des mois entiers (Blanqui, op. cit. , 104).

« La plus grande partie des classes pauvres en sont encore à méconnaître d’où viennent leurs maux. Car le premier et le plus déplorable résultat de leur asservissement, c’est une ignorance profonde qui les rend presque toujours les instruments dociles des passions perverses des privilégiés. Comment des malheureux, éternellement courbés sous une tache accablante, avec la perspective incertaine d’un peu de pain au bout de leurs fatigues de chaque jour, pourraient-ils cultiver leur intelligence, éclairer leur raison, et réfléchir sur les phénomènes sociaux où ils jouent un rôle passif ? » (Blanqui, op. cit., 120).

38  Souligné par nous.

61 C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre l’impérieuse nécessité pour les utopistes de déployer ici et maintenant des stratégies d’émancipation. Dans sa fameuse parabole des talents, Saint-Simon avait ennobli le travailleur : serruriers, imprimeurs, fondeurs, maçons, maîtres de forges, fabricants de draps, sont au même titre que les artistes, les savants et les banquiers ( !) la «  sève de la Nation . » Tandis que les accapareurs… Il peut paraître enfantin de mettre le banquier et l’ouvrier dans le même tiroir. Mais était-ce une façon de nier l’existence des classes ou une manière de donner à l’ouvrier la place sociale qui lui revient ? Qu’on demande aujourd’hui à un pdg s’il trouve le travail de ses ouvriers équivalent au sien… Cabet, lui, imagine en Icarie des usines charmantes et autogérées par de (jolies !) ouvrières : «  C’étaient des ouvrières aussi instruites que les femmes les mieux élevées des autres pays ; c’étaient autant d’artistes 38 à qui l’habitude du dessin donnait un goût exquis  ; c’étaient les filles et les femmes de tous les citoyens, travaillant dans l’atelier de la République pour embellir leurs concitoyennes ou plutôt leurs sœurs  » (Cabet, Voyage en Icarie , 136). Pris au pied de la lettre, on dirait un roman photos. Mais il suffit de regarder à travers le négatif pour comprendre que l’intention est bien de dénaturaliser la hiérarchie de classes, de s’interroger sur la nature aliénante du travail et sur une concurrence perpétuelle au sein même de l’entreprise laquelle anéantit les liens sociaux. Quant à l’instruction va-t-elle rester encore longtemps le privilège des nantis ?

  • 39  Owen est sociologiquement un « bourgeois » et même un entrepreneur patron, il n’en est pas moins s (...)

62 Le risque, évidemment, c’est de s’autoproclamer commandeur des croyants ou/et éducateur en chef – tendance dont le xviii e a souvent abusé. Il faut échapper à ce piège. C’est ce que va tenter l’industriel britannique Robert Owen. Un patron humaniste parmi d’autres ? Oui et non, ou plutôt : non et non 39 . Il se distingue du padre padrone par sa dimension résolument révolutionnaire et utopique : son but n’est pas seulement de rendre acceptable les conditions de travail dans l’usine. (Ce qu’il entreprend dans sa filature écossaise de New Lanark). Son Graal, c’est le bonheur auquel tout le monde aspire et auquel chacun a droit. Or ce bonheur est empêché par «  les mauvaises habitudes  », la folie des hommes alimentée par la morale et la religion. «  Défense absolue pour le clergé de mettre le pied dans les écoles  » écrivait Blanqui en 1867. Owen n’en pensait pas moins. Et Proudhon dira la même chose. Il faut débarrasser le monde de ces vices (sévices) qui passent pour de la vertu. Comment ? Par l’éducation ?

« L’enseignement ne peut rester ce qu’il est aujourd’hui, une dérision, un éteignoir. Il doit être non seulement gratuit et obligatoire, mais complet. […] Il faut apprendre à tous les français sans exception : la langue française, l’arithmétique, la cosmographie, l’histoire, le dessin, des notions suffisantes de géologie, de physique et de chimie. L’enseignement professionnel doit être organisé partout. […] Qu’on joigne à ce système d’études la liberté d’association et la liberté de la presse, avant dix ans l’exploitation aura disparu et le peuple sera son propre maître » (Blanqui, op. cit., 239).
  • 40  » Ces principes et les systèmes pratiques qu’ils recommandent (…) pourront être soumis à l’enquête (...)

63 Owen aurait pu écrire mot pour mot le même discours. Mais il est allé plus loin encore : l’éducation dépasse le cadre de l’école ; elle concerne autant les dirigeants – entrepreneurs, juristes, représentants de l’Etat – que les masses laborieuses. C’est un renversement des valeurs qu’il nous faut opérer. Les préjugés et l’ignorance, le sexisme, le sectarisme, ne sont pas le caractère exclusif des pauvres. Si bien que le socialisme militant d’Owen en appelle finalement à une véritable catharsis collective ; une psychanalyse généralisée ? 40

64 Car le danger, c’est aussi «  le danger de l’intérieur » (Buber, 2016 , 109 et s.), la tendance à recomposer le centralisme, les hiérarchies, les rapports de force, la division du travail. L’isolement et l’éparpillement n’arrangent rien. Avant et après 1848, un grand nombre de coopératives de production en Grande Bretagne comme en France tombent dans ce piège. D’autres tentent en vain de se fédérer. La répression n’arrange pas les choses et met en péril les collectivités dont la volonté était pourtant d’être à la fois des alternatives à l’organisation économique et sociale, mais aussi des expériences de vie dans lesquels les hommes seraient capables de démontrer qu’il est possible de penser autrement le lien social. C’est dans le moule de la société de classes que nous sommes coulés. Au premier virage, les habitus reprennent leur cours…

65 Il reste, en attendant (quoi ? quand ? où ?) que la faim est pour les uns, la corne d’abondance pour les autres ; que la richesse sociale n’appartient pas à ceux qui la crée ; que la mécanique de l’hérédité fonde l’aristocratie des capitaux et non celle du travail ; que l’ignorance creuse chaque jour un peu plus le fossé entre les classes ; que l’organisation du travail annihile toute espoir de jouissance : les utopies sociales ont au moins ce pouvoir de souligner l’intolérable actualité du présent et de tenter des échappées hors de l’Enfer. Si bien qu’à vouloir jeter le soupçon sur les «  rêves  » utopiques, on risque de passer sous silence les maléfices du réel…

66 On comprend, dans ces conditions, que les utopies aient été et restent la cible des puissances conservatrices. Lorsque la rue s’éveille, l’utopie n’est plus perçue comme un bibelot d’inanité. Elle passe pour un holdup sur le temps présent. La furie d’un Auguste Thiers à l’égard de ce qui peut, de près ou de loin, s’apparenter à de la subversion – communistes, socialistes utopiques, ou anarchistes – prouve s’il en est besoin que l’espérance utopique qui inverse «  ce qui est en fait une société renversée  » (Ricœur, op. cit. , 396) est considérée comme un danger mortel pour ceux qui défendent  l’ordre (prétendu) comme seul possible.

67 Le bouleversement insurrectionnel du paysage européen donne d’ailleurs des arguments aux défenseurs de l’Etat bourgeois : agitations ouvrières et répressions violentes en Angleterre dès la fin du xviii e , Révolution des Trois Glorieuses à Paris (1830), soulèvement des Canuts de Lyon la même année ; sanglante semaine de 1833 à Lyon ; insurrection chartiste en Pays de Galles (1839) ; révoltes des tisserands de Silésie (1844) ; insurrections et révolutions européennes de 1848. (Paris, Milan, Rome, la Sicile, Vienne, Berlin, Munich, Prague, Varsovie, Budapest, Grande Bretagne) ; Commune de Paris (1871). Le cycle iniquités, insurrection, répression a désormais pour théâtre l’Europe entière et pour acteur principal la classe ouvrière.

68 En France, le Régime de Louis-Philippe tombe en février 48. Mais la ii e République à peine née réprime dans le sang les insurrections populaires de juin… Dans ce contexte, l’utopie saint-simonienne et socialiste d’un Pierre Leroux, ses discours à l’Assemblée, son projet d’une Constitution démocratique et sociale , ses bondieuseries humanistes ne font que déclencher l’hilarité des députés acquis à l’ordre bourgeois. D’un autre côté, les révolutionnaires fulminent. Mais en définitive, c’est autant la critique révolutionnaire – celle de Blanqui ou de Marx – qui semblent devoir mettre un point d’arrêt à l’aventure utopique, que les évènements eux-mêmes : en 48, les faux-prophètes de la liberté (Louis Blanc, Armand Barbès, Alexandre Auguste LedruRollin, Alexis de Tocqueville et cette girouette d’Alphonse de Lamartine…) ont trompé un peuple en armes. Blanqui a beau jeu de dénoncer «  les artificieuses paroles de concorde et de fraternité  » (Blanqui, op. cit. , 123) qui, à ses yeux, contribuent à faire prospérer l’état de fait. Des années plus tard, dans sa prison de BelleÎle, il ne décolère pas : «  Vous vous dites républicain et révolutionnaire. Prenez garde de vous payer de mots et d’être dupe. C’est précisément ce titre de républicain révolutionnaire qu’affectent de prendre les hommes qui ne sont ni révolutionnaires, ni peut-être même républicains, les hommes qui ont trahi, perdu, et la révolution et la république. » (Blanqui, op. cit. , 175).

  • 41  Le dictateur d’Alejo Carpentier ( Le recours de la Méthode , 1975) ne s’y trompe pas qui voue le Man (...)

69 Il y a pourtant chez Blanqui un excès jamais en défaut, une inextinguible certitude en un avenir postcapitaliste qui n’est pas étrangère à cette «   barbarie   » des utopistes qu’évoque Abensour. Après tout et pour paraphraser Adorno, les révolutionnaires ne critiquentils pas l’utopie dans l’intérêt de sa réalisation ? Et même l’inspiration révolutionnaire du Manifeste communiste de 48 sa poétique, son lyrisme – la personnification des catégories – le bourgeois égoïste et cupide, le prolétaire tout à la fois fossoyeur et missionnaire d’une émancipation universelle – ne peuvent-elles pas être mises au compte des pages les plus inspirées de la geste utopique ? 41 L’élan utopique n’ est-il pas, au cœur des révolutions, le désir ardent de réaliser sans attendre des transformations telles que le pouvoir désormais revienne aux producteurs euxmêmes et non à l’Etat qui est supposé les représenter  ? Si bien que lorsque les révolutions, au nom du principe de réalité, choisissent de mettre cet élan en veilleuse, le présent est peut-être sauvé, mais le futur compromis…

70 Enfin, que les utopies ne se réalisent pas et que les révolutions échouent, est-ce une raison pour entériner l’état de fait ? L’échec, pas plus que l’inachèvement, ne relèvent de l’épreuve de vérité. On peut avoir tort au regard des évènements sans être dans l’erreur…

  • 42  Lire à ce propos le commentaire de Pierre Macherey sur les splendeurs de l’ordre combiné et sur la (...)

71 Cependant, la question reste en l’état : l’expérimentation sociale à l’échelle «  d’unités particulières  » peutelle fonder un «  ordre général  » plus juste ? (Buber, op. cit., 61). De la culture, futelle idéale des poiriers 42 , peuton espérer une métamorphose de l’organisation sociale ? A penser des stratégies de coopération et de bonne franquette, on risque de se détourner de l’essentiel à savoir – nous dit Blanqui – la prise d’armes.

« Ne vous y trompez pas, le socialisme c’est la révolution. Elle n’est que là. Supprimez le socialisme, la flamme populaire s’éteint, le silence et les ténèbres se font sur toute l’Europe » (Blanqui, op. cit., 174).

43  Sur cette question, il faut lire Utopie et socialisme de Martin Buber (2006).

  • 44  Cet accès réel et universel au savoir n’est-il pas encore aujourd’hui le talon d’Achille de la plu (...)

72 Et, en effet, le fédéralisme de Proudhon, le communisme libertaire de Kropotkine, les coopératives de production inspirées d’Owen, les Phalanstères, les expériences autogestionnaires, les zones à défendre, ne changent pas le monde de fond en comble. Ils ne mettent à bas ni l’Etat bourgeois, ni la société de classes, ni l’organisation économique mondiale. S’agit-il tout au plus, de «  fugitives échappées sur le monument de l’avenir  » (Blanqui, op. cit. , 212) ; d’un «  but honnête de promenade  » (Blanqui) ? De cailloux jetés dans la mare aux canards ? Lignes «  bourgeoises » condamnées à s’achever en réformisme bon enfant ou cheval de Troie ? 43 Et pourquoi non  ? Si le Phalanstère n’est qu’un gadget pourquoi chaque tentative de recomposer une expérience qui lui ressemble est-elle, aujourd’hui encore, systématiquement barrée, démantelée ou affadie par l’appareil d’Etat ? Si l’option autogestionnaire d’un Owen est sans effet pourquoi l’Etat, le patronat, les Tribunaux tententtils toujours d’y mettre fin ? Et si le travail est source du progrès, pourquoi l’ouvrier est-il privé non seulement du minimum décent, mais des privilèges « bourgeois » (Fourier) à commencer par l’accès au savoir (Owen, Cabet) ? 44

73 Sans doute yatil chez les utopistes une impatience de l’ici et maintenant qui dans le marxisme est pensé comme un avenir lointain – celui du communisme – dont Marx se garde bien de peindre en détail le paysage. Sans doute yatil, chez Fourier, chez Proudhon, ou Kropotkine, l’idée qu’il faut relever ses manches pour inventer des alternatives lesquelles – espèreton par un effet de contagion, mettront en péril l’édifice social. Et sans doute chez les utopistes – particulièrement chez Fourier – yatil l’intuition que le désir est au fondement de l’humain et qu’il n’est pas réductible à l’appartenance de classes  : se tenir embusqué derrière son tiroir-caisse dans la crainte du premier voleur ou de la prochaine insurrection, ce n’est pas une vie… Les murs hérissés de tessons, (aujourd’hui les murs de la honte), les lois scélérates, la raison d’Etat «  absolutiste, ultralégale, illibérale et gouvernementale jusqu’à l’oppression  » (Proudhon, Théorie de la propriété , 228) n’y changent rien. L’ordre capitaliste est un ordre dans lequel chacun se perd, s’aliène désespérément aux conditions d’existence qu’il subit ou prétend inventer. Nous sommes tous coincés dans le même pisse-pot.

74 Les utopies apparaissent donc, avant tout, comme des communs de résistance. Aussi, persister dans l’utopie consiste probablement «  à prendre acte de sa fragilité, du caractère éphémère et sans doute interminable des lignes de fuite qu’ouvrent les brèches  » (Abensour, 2013b, 186). N’en est-il pas de même des révolutions ? Peuvent-elles prétendre à l’achèvement ? Le risque d’une pétrification de l’élan, d’une résurgence du passé, d’une panne de devenir, ne sont-ils pas le fait de tous les élans – utopiques et révolutionnaires ?

75 Prendre le parti du devenir, «   dans chaque présent qui passe   » (Deleuze, 1991, 114), ne pas se laisser piéger par le définitif, comprendre que l’illusion de l’ordre qui gouverne non seulement nos sociétés, mais chacun de nous est en porte-à-faux avec la vie… L’actualité des utopies est là. La question qu’elles posent devrait interpeller nos démocraties, engoncées dans la certitude que le caractère formel des acquis suffit à calmer le désir insatiable des humains à connaître un avenir dans lequel ils seront tous les acteurs de leur destin…

76 Pour achever ce propos, revenons à Blanqui ce «  poète de l’avenir  » ; anti utopiste déclaré et pourtant utopiste, à la vie, à la mort… Aucune censure, aucune mise en demeure, aucun cachot, n’a jamais réduit cet homme au silence ; partisan incorruptible de l’appel aux armes, architecte des barricades, portevoix du «  ni Dieu ni maître  », âme (damnée au regard de la réaction) de la Commune de Paris cette ultime et tragique utopie insulaire – il est l’une des voix les plus courageuse du communisme révolutionnaire. Mais n’est-il pas aussi, par son excès et son obstination, un rêveur éveillé dont la réalité, jamais, n’arrive à anéantir l’espérance ?

77 Du fond de son cachot – sa principale demeure – il contemple le ciel. Ciel que l’on dit éternel et stable, soumis à la loi universelle de la gravitation. Mais cette éternité tranquille n’est pensable que si l’on voit l’univers par le petit bout de la lorgnette. En vérité, c’est la tourmente stellaire – le tohubohu  : chocs d’astres, tourbillons d’étoiles, accidents, matière chaotique, comètes invisibles, chaleur, glace, incendies, cadavres sidéraux, vieux soleils morts, pluies d’étincelles, mêlée furieuse, nébuleuses qui se volatilisent, naissances, écarts… Les accidents, nous dit-il, sont inscrits dans le devenir des astres.

«  Ils [les accidents] sont les antagonistes de la mort, les sources toujours ouvertes de la vie universelle. C’est par un échec permanent à son bon ordre que la gravitation reconduit et repeuple les globes. Le bon ordre qu’on vante les laisserait disparaître dans le néant… » (Blanqui, L’éternité par les astres, op. cit., 350).

78 Est-ce à dire que les révolutions comme les utopies s’inscrivent sous le signe de la catastrophe ou au contraire sous celui de la vie éternellement renaissante ?...

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2 Dans le livre i du Capital , Karl Marx nous parle même du «  caractère mystique de la marchandise »  (68). «  Pour trouver une analogie à ce phénomène, il faut la chercher dans la zone nuageuse du monde religieux. Là les produits du cerveau humain ont l’aspect d’être indépendants, doués de corps particuliers, en communication avec les hommes et entre eux. Il en est de même des produits de la main de l’homme dans le monde marchand.  » ( id. , 69)

3 Un now where – ici et maintenant – plutôt que le nulle part du no where . ; Giles Deleuze (1991, 101), citant Samuel Butler.

5 Le Pays de Cocagne, version païenne de l’Eden, présent dans les cultures populaires européennes et notamment en Italie, dès le Moyen â ge.

7 Ernst Bloch, Walter Benjamin, Théodor W. Adorno, avaientils des raisons d’être optimistes ? Moins que tous autres : avant, pendant et après Auschwitz. Pourtant, aucun d’entre eux – sans être gai luron – n’est un apôtre du désenchantement. Ni pour l’un, ni pour l’autre, il ne sera jamais question de renoncement.

8 Certaines utopies peuvent naître du désespoir. «  Il y a une dimension catastrophique de la pensée d’Adorno, l’utopie semble devoir sortir chez lui d’un Abgrund, d’un abîme.  » (David, 2008, 58). Ceci est vrai aussi bien pour Walter Benjamin… Mais cela ne l’empêche pas de penser le progrès, quitte à «  fonder l’idée de progrès sur la catastrophe » (Abensour, 2013a, 56).

9 On peut certes cultiver librement son jardin privé. Souvent, c’est un salarié qui s’y colle. Mais créer une communauté de projet sans s’inscrire dans l’ordre de la propriété individuelle, est illégal. Les « cent noms » de NotreDame des Landes ont joué le « sans nom » jusqu’au bout : pas de star, de portedrapeau, de leader à poser sur un plateau télévisé – d’où, au regard de la société du spectacle, pas de visage , pas d’identité juridique ni de légitimité d’aucune sorte.

10 «  Si des rangs sortent quelques hommes/ Tous nous crions : A bas les fous !  » Pierre Leroux, cité par Abensour (2000 , 112).

12  »  Les tyrans mêmes trouvaient bien étrange que les hommes puissent endurer un homme leur faisant du mal ; ils voulaient fort se mettre la religion devant comme gardecorps, et, s’il était possible, emprunter quelque échantillon de la divinité pour le maintien de leur méchante vie  » (La Boétie, Discours de la servitude volontaire , 142).

13  De ces ensorcellements , la philosophie – et notamment les matérialistes de l’âge classique et des Lumières – n’a eu de cesse d’en décrire les mécanismes et d’en dénoncer l’imposture. Parfois de manière ironique, parfois de façon véhémente. D’Holbach en ce domaine représente un climax. Mais il est vrai que Sade n’y va pas non plus de main morte…

15  »   Parlez à Cromwell de quoi que ce soit ; il mettra sa main sur son cœur, il lèvera les yeux au ciel, il prendra Dieu à témoin, il pleurera, il gémira, il se repentira ; et ainsi faisant il vous frappe sur la première côte  » (R. Overton, in Lutaud , 1967, 60).

16  Dans la tradition musicale de l’Occident chrétien, les dissonances, sont perçues comme des manifestations diaboliques . Ainsi «  l’intervalle de trois tons majeurs dit le triton (par exemple utfa dièse, ou soldo dièse) était dénoncé depuis le xiv e comme la plus épouvantable des dissonances, ce qui lui valut le nom de “diabolus in musica”. […] Cependant Jean Sébastien Bach luimême dans le Clavecin bien tempéré ose un triton descendant qui contribue subrepticement à donner un sentiment de beauté. […] L’affreux triton seraitil beau ? » (Revault d’Allonnes, 2008, 218).

17  Souligné par nous.

18  Le premier voyage de Christophe Colomb est en quelque sorte l’archétype du voyage utopique : «  La grandeur de Colomb, c’est d’avoir pris une route inconnue, d’être sorti des chemins tracés. Le risque de prendre un chemin qui ne mène nulle part  » (Abensour, 2000 , 104) Hélas ! Après le premier voyage (ligne de fuite), la colonisation : la route maritime est tracée – répétition du même. Quant à la territorialisation qui s’en suit …

19  Dans le cas de Colomb et de ses successeurs, ce fut une domination coloniale brutale et le tracé triangulaire des lignes dures.

20  Giovanni Boccace écrit le Décaméron en 1348/ 1353, bien avant L’Utopie de More (1516). En Italien et non en latin.

21  On peut mettre en lien les pages de Mille Plateaux (250, 251) avec le film très Deleuzien d’Alain Resnais, La vie est un roman  ; unité de lieu/ nonlieu : le château du Comte Forbec. Les lignes dures de l’utopie sectaire du Comte Forbek menacées de l’intérieur par les lignes clandestines d’une insoumise, incarnée par Fanny Ardant ; «  segmentarités souples  » des pédagogues réunis en colloque, qui versent tantôt vers la déterritorialisation, tantôt du côté des lignes dures ; et lignes de fuite des enfants qui courent (au sens propre et figuré) sur les chemins coutumiers du conte, pour bifurquer, inventer des lignes singulières, vivantes, inédites ; une échappée heureuse pour un instant hors du contrôle des adultes trop pensant…

22  Il n’est pas sans intérêt de remarquer que la Nouvelle Icarie de Cabet est pensée sur un plan circulaire, autrement dit sur le mode de l’enfermement parfait. D’abord installée au Texas en 1847, Icarie émigre à la NouvelleOrléans ; une Cité du bonheur pensée sur un mode autoritaire, traversée d’insurrections et de conflits – preuve s’il en est que les lignes de fuite peuvent retomber dans ce à quoi elles ont tenté d’échapper.

23  »  C’est après s’être baignés, et seulement toutes les trois nuits qu’ils (hommes et femmes) peuvent se livrer à l‘acte générateur. Les femmes grandes et belles ne sont unies qu’à des hommes grands et bien constitués ; les femmes qui ont de l’embonpoint sont unies à des hommes secs, et celles qui n’en n’ont pas sont réservées à des hommes gras…  » (Campanella, 2014 , 17).

24 «   Il a toujours existé une littérature de divertissement, une littérature, veuxje dire, ne se chargeant d’aucune sorte d’obligation envers l’époque et les idées qui l’animent, autre tout au plus que celle d’apporter de telles idées à la consommation…  » (Benjamin, op. cit. , 163).

25 «   Communiquer à mots couverts, s’entreconnaître, malgré les institutions en place, malgré les religions établies. […] Mener le combat pour la liberté sans défier directement les pouvoirs institués ou les contrepouvoirs en formation, à l’abri, autant que faire se peut, de la persécution.  » (Abensour, 2000, 38)

27  L’interprétation, c’est fruit défendu. Les premières traductions de passages de la Bible en langue vernaculaire datent du XIIe siècle. Elles sont aussitôt interdites par l’Eglise. La traduction de la Bible en français par Lefèvre d’Etaples en 1523 est interdite par le Parlement de Paris en 1526 et finalement publiée à Anvers. A la fin du xv e siècle, en Espagne, l’Inquisition interdit la diffusion de la Bible en langue vernaculaire ; ce n’est qu’au xviii e que cette interdiction est levée en partie. En 1897, le pape Léon xiii renouvelle l’interdiction des Bibles en langage indigène si elles ne sont pas approuvées par le Saint Siège… Quant aux musulmans, il leur faudra attendre le xviii pour lire le Coran imprimé en pays d’Islam. Jusqu’alors, ce sont les occidentaux qui s’en étaient chargés…

28  Zénon de Citium ( La République , – 300) ; Diodore de Sicile ( L’île du Soleil de Iamboulos , 1er siècle)…

31   »  Je veux parler de l’insularité, l’insularité qui est l’unité d’un enfermement et d’une ouverture. La mer nous enveloppe et elle est aussi le chemin. Or un chemin qui ouvre et ferme, ça pose problème. D’une part il faut prendre pied et donc s’y trouver. Et d’autre part, il faut y prendre essor, et s’en aller. A la fois s’en aller et rester  » Entretien avec JeanToussaint Desanti (Antenat, 2000).

32  Mais ne soyons pas naïvement dualistes : lignes dures et lignes souples peuvent s’emmêler, s’enrouler les unes aux autres, se perdre dans la confusion du pire…

33  »   Le Droit naturel fait le point sur son objet, le centre, le revendique sur le champ, intervient dans les Constitutions bourgeoises, en rédige de nouvelles  » (Bloch, 1982 , 118).

34   »  Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardezvous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. » (Rousseau, Deuxième Discours , t.  iii , 164).

35  On peut interpréter l’utopie de Denis Diderot comme une réminiscence de la pensée de Thomas More – en (beaucoup) plus érotique et plus drôle…

36   » Ce bouleversement continuel de la production, cet ébranlement ininterrompu de tout le système social, cette agitation et cette perpétuelle insécurité distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes.  » (Marx, Engels, op. cit., 14).

39  Owen est sociologiquement un « bourgeois » et même un entrepreneur patron, il n’en est pas moins socialiste ; « communiste » en final puisqu’aussi bien il va tenter une expérience malheureuse de communauté utopique aux usa (New Harmony). Il est aussi, diton, le premier d’une lignée de patrons sociaux, souvent chrétiens, qui tentent de transformer les conditions de travail des ouvriers, et parfois de s’inspirer du modèle de New Lanark. On connaît le familistère de Guise de J. B. Godin. De même, la filature de l’industriel chrétien Léon Harmel a constitué – sur un mode prosélyte une organisation participative et sociale de premier plan… Mais en chemin, le capitalisme social s’est débarrassé de la charge révolutionnaire présente chez Owen, car le but est désormais de faire travailler tout ce petit monde au mieux .

40  » Ces principes et les systèmes pratiques qu’ils recommandent (…) pourront être soumis à l’enquête et à la décision dépassionnées et patientes de ces individus de tous rangs, de toutes classes et de toutes confessions de la société qui ont atteint un certain degré de conscience des erreurs dans lesquelles ils vivent. Ils ont senti l’épaisse obscurité mentale qui les entoure ; qui sont empreints d’un désir ardent de découvrir et de suivre la vérité partout où elle mène, et qui savent percevoir la relation inextricable entre l’individuel et le général, entre le bien privé et le bien public ! » (Owen, Nouvelle vision de la société , 8788).

41  Le dictateur d’Alejo Carpentier ( Le recours de la Méthode , 1975) ne s’y trompe pas qui voue le Manifeste communiste à l’autodafé, mais laisse Le Capital en vente libre…

42  Lire à ce propos le commentaire de Pierre Macherey sur les splendeurs de l’ordre combiné et sur la culture des poiriers in De l’Utopie  !

44  Cet accès réel et universel au savoir n’est-il pas encore aujourd’hui le talon d’Achille de la plupart de nos démocraties ?

Pour citer cet article

Référence électronique.

Myriam Monla , «  Les Utopies sociales ou la tentation des possibles  » ,  Sciences de la société [En ligne], 100 | 2017, mis en ligne le 02 mai 2019 , consulté le 05 avril 2024 . URL  : http://journals.openedition.org/sds/5954 ; DOI  : https://doi.org/10.4000/sds.5954

Myriam Monla

Philosophe, mmonla<chez>hotmail.com

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exemple dissertation utopie

Nous abordons dans cette proposition les notions d’anxiété et d’espoir par le biais d’une forme littéraire, artistique et philosophique majeure, l’utopie. Nous verrons comment, avec son contrepoint la dystopie, elles se sont imposées comme un outil essentiel à l’analyse et à la critique d’une époque en questionnant tout autant ses aspirations que ses aspects les plus anxiogènes. Ainsi littérature, cinéma et architecture ont fait appel au binôme utopie/dystopie pour formuler un questionnement productif sur notre société. Nous montrerons que le numérique, à travers la production de simulations, est devenu un territoire pertinent dans la poursuite de cette réflexion critique.

Histoire d’un couple antagoniste

À l’origine, l’utopie est une forme littéraire. Le néologisme, formé en 1516 par Thomas More pour son livre Utopia , définit une forme de société idéale « qui ne se trouve nulle part ». Inspiré par La république de Platon, le livre doit avant tout se comprendre comme une critique humaniste, une description en creux des injustices qui rongent les sociétés européennes du XVIe siècle, et plus particulièrement l’Angleterre. Dans la seconde édition, Thomas More ajoute au titre initial le terme homonyme en anglais « Eutopia », précisant l’idée d’un « lieu du bon ». Ce double sens révèle la nature de l’utopie : procédé davantage littéraire que politique, elle est une création imaginaire, un idéal qui ne saurait prendre place dans la société humaine. Paradoxalement, parce qu’elle prétend répondre par une forme sociale univoque à l’ensemble des aspirations et contradictions humaines, elle porte aussi les germes d’une pensée de nature idéologique.

La notion de dystopie, étymologiquement un « lieu négatif », apparaît plus tardivement au XIXe siècle, toujours en Angleterre. La dystopie est la réalisation de l’utopie au sein d’une société et devient le prétexte à l’observation du dysfonctionnement de cette utopie, sa mise à l’épreuve des faits. Elle en révèle les failles, les sous-entendus, les potentiels risques sociaux et politiques. Dans la littérature, elle prend le point de vue de l’individu, montrant l’absurdité du traitement auquel le soumet une utopie ayant évolué de réflexion philosophique à système hégémonique mis en application. Les exemples littéraires de dystopies abondent, et constituent pour certains des œuvres majeures susceptibles d’incarner leur époque : Le meilleur des mondes (Aldous Huxley, 1932), 1984 (Georges Orwell, 1948), La planète des singes (Pierre Boulle, 1963), La servante écarlate (Margaret Atwood, 1985), Soumission (Michel Houellebecq, 2015). Au final, cette forme littéraire dérivée s’avère plus prolifique et féconde que sa source l’utopie.

Dans les années 1960, la jeunesse et les milieux intellectuels sont animés par une telle soif de révolution et d’idéaux que toute forme de critique constructive est dévalorisée par l’étiquette « réactionnaire ». Ce que comprennent malgré tout certains intellectuels, comme Guy Debord en France ou Pierre Paolo Pasolini en Italie, est que cette révolution nouvelle, même si elle se situe dans la lignée de combats légitimes et progressistes, correspond aussi à l’émergence d’une société bourgeoise structurée par la consommation marchande doublée d’une forme nouvelle de société du spectacle. La liberté totale, absolue, fulgurante, mène-t-elle prosaïquement à une consommation addictive, au triomphe des marques internationales et aux gloires éphémères des réseaux sociaux ? L’utopie porte-t-elle tragiquement sa propre dystopie ? Il ne s’agit pas ici de remettre en question la liberté, acquis essentiel et universel, mais au contraire d’essayer de comprendre à quel moment une idéologie se substitue à un idéal, quel curseur marque le glissement entre une utopie légitime et sa réalisation désincarnée. La question est complexe, car la nature de l’idéologie est d’être diffuse pour les esprits qui la partagent, elle constitue une manière invisible d’interpréter le monde. Il est donc essentiel de construire des mécanismes susceptibles de la rendre visible, l’obligeant à dévoiler ses conséquences les plus cachées. Parfois accusée d’être réactionnaire, la dystopie constitue pourtant un outil pertinent pour décortiquer le sens profond d’une idéologie. Elle interroge le futur, révélateur davantage que programme politique, laissant l’individu éclairé libre de ses choix et de ses idéaux.

Le cinéma, média privilégié de la dystopie

Le XXe siècle voit la dystopie devenir une source d’inspiration pour les arts. Le film succède au roman du XIXe siècle comme forme classique de narration, il devient le témoin privilégié de son époque. D’abord tiré par l’adaptation d’œuvres littéraires, le cinématographe engendre de plus en plus de productions basées sur des scénarios originaux interrogeant des thèmes sociétaux de manière directe : la société de classes dans Metropolis (Fritz Lang, 1927), la boucle itérative du temps et l’éternel retour dans La jetée (Chris Marker, 1962), la déshumanisation de la société par le biais d’un super ordinateur dans Alphaville (Jean-Luc Godard, 1965), la société des immortels Éternels contre le peuple des Brutes dans Zardoz (John Boorman, 1974), l’administration tentaculaire et dysfonctionnelle de Brazil (Terry Gilliam, 1985), ou encore la dépendance collective à une forme addictive et organique du virtuel dans Existenz (David Cronenberg, 1999).

Dans ces œuvres est questionnée, au-delà du récit politique, philosophique et humaniste, l’importance des lieux servant de cadre aux dystopies. Comment incarner le lieu et la forme d’une utopie déréglée ? Doit-elle prendre place dans un espace purement imaginaire, ou est-il au contraire pertinent de l’inscrire dans des fragments sélectionnés de notre présent, pour mieux montrer sa proximité ? Certains réalisateurs choisissent de privilégier le travail en studio et les effets spéciaux, comme dans le Metropolis de Fritz Lang, dont la ville verticale étonne encore aujourd’hui par sa puissance d’évocation. D’autres réalisateurs s’emploient au contraire à tordre le cou au réel, à construire une utopie détournant des éléments architecturaux et urbains contemporains dans l’optique d’en extraire la potentialité futuriste. On citera ici plus particulièrement La jetée , Alphaville , le provocant Orange mécanique de Stanley Kubrick, ou plus près de nous la vision baroque du Brazil de Terry Gilliam. Avec cet usage du réel s’inscrit plus directement une critique de la modernité, de ses lieux déshumanisés et de ses modes d’habiter dans des fables anticipatives qui nous parlent très directement de notre présent.

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Des outils critiques de la pensée urbaine

Les domaines de l’architecture et de l’urbanisme entretiennent depuis longtemps un lien étroit avec les notions d’utopie et de dystopie. À la Renaissance, parallèlement à l’idéal universaliste et humaniste d’un monde meilleur, se construit l’idée d’une Cité idéale susceptible de l’incarner. Elle vise à installer physiquement l’utopie au sein d’une organisation spatiale et sociale et reprend le modèle dominant en Italie à cette période, la cité état. Pendant plusieurs siècles, le thème sera décliné en fonction des aspirations de l’époque, depuis le Familistère de Jean-Baptiste André Godin jusqu’aux architectures prérévolutionnaires d’Étienne-Louis Boullée et de Claude Nicolas Ledoux.

Au XIXe siècle, le modèle des cités jardins propose une utopie hygiéniste associée au lieu de production, l’usine, afin de sortir les ouvriers des miasmes qui amoindrissent leur productivité et nuisent au bon développement du capitalisme. Cet aspect idéologique du bonheur imposé pour tous culminera au début du XXe siècle avec la ville idéale de Le Corbusier dont Le plan Voisin constitue un jalon essentiel. L’urbanisme tout autant que le bonheur y sont autoritaires, imposés à un individu incarné par une forme d’homme idéal, sportif et moderne. Mais ce plan d’aménagement ne précède que de quelques années l’expansion du fascisme dans toute l’Europe, avec lequel il entretient des liens idéologiques ambigus.

L’utopie architecturale reste encore vivace quelques années après la seconde guerre mondiale. Dans les années 60, les projets pop et avant-gardistes du collectif anglais Archigram et le mouvement des mégastructures forment une sorte de spectaculaire chant du cygne, mais l’époque soulève pourtant de plus en plus de questions critiques sur l’existence d’un modèle idéal : la société démocratique, qui s’est construite dans un contexte social et historique complexe, reflet de la nature humaine, peut-elle se résoudre à un principe d’aménagement urbain de nature utopique, aussi brillant et esthétique soit-il ? Si les architectes, persuadés du pouvoir social de leurs constructions, sont devenus de formidables producteurs d’images au service d’une idéologie de l’habiter, il se forme néanmoins parmi eux des collectifs développant une réflexion plus critique sur la pertinence d’une modernité à tout prix. À ce titre, la naissance de l’Architecture radicale, qui privilégie la dystopie à l’utopie pour explorer les questions sociales et esthétiques propres à l’habitat, marque un tournant de la pensée urbaine.

Projet précurseur du genre, « No stop City » (Archizoom Associati, 1969) est une dystopie imaginée par l’architecte et designer Andrea Branzi. Cette ville sans fin organise « l’idée de la disparition de l’architecture à l’intérieur de la métropole ». Concrètement, la ville, devenue territoire infini, se développe selon une conception proche du supermarché ou du parking. L’architecture souterraine, réduite au rôle de simple trame, propose des espaces neutres, climatisés et isolés de l’extérieur, dans lesquels l’individu organise son habitat comme un nomade au sein de la société de consommation. Andrea Branzi revendique la dimension provocatrice et critique de sa dystopie « Aux utopies qualitatives, nous répondons par la seule utopie possible : celle de la Quantité ». Dans une époque où se développent les discours sur les bienfaits de la consommation, il nous oblige à une distanciation critique, nous fascinant par un discours dont nous comprenons en même temps les conséquences les plus négatives.

Développant encore cette dimension critique, le projet « Exodus » (Rem Koolhaas, Marion Elia et Zoé Zenghelis, 1972) se présente comme une fiction, une sorte de fable composée de 18 images accompagnées d’un texte. Au cœur de Londres, une bande urbaine monumentale abrite un peuple de réfugiés venus se livrer totalement au règne d’une architecture dominatrice. Inspirée par la situation propre au Berlin des années 70 et à son mur, elle décrit un monde divisé en deux, ou les habitants du mauvais côté s’emploient désespérément à venir habiter le bon. S’ils y parviennent, ils se livrent alors à une série d’expériences au sein de séquences architecturales extrêmes. Comme avec Andrea Branzi, le ton joue d’un second degré ironique inhabituel chez des concepteurs plutôt habitués à valoriser les bienfaits inhérents de leurs propositions urbaines.

L’architecture radicale, par sa puissance d’évocation, constitue aujourd’hui une référence dont l’influence intellectuelle dépasse le cadre de l’aménagement urbain. Il s’agit d’une réflexion globale et profonde sur le modèle de société que nous souhaitons mettre en œuvre. Les protagonistes de ce mouvement ont d’ailleurs emprunté par la suite des chemins divergents. Tandis que certains italiens emprunt d’histoire marquèrent leur production d’un retour à une ville classique, le Hollandais Rem Koolhaas développera au contraire une architecture inscrite au sein du chaos urbain des grandes mégalopoles.

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La simulation numérique, moyen d’exploration des possibles

Un domaine de création contemporain, le numérique, est sans doute le plus à même de prolonger le dialogue entre utopie et dystopie. Sous-tendu par une programmation qui en modifie le mode d’expression, le numérique se caractérise par le basculement de la représentation traditionnelle, qu’elle soit picturale ou photographique, vers une forme de représentation temps réel, la simulation. L’image perd en vérité ce qu’elle gagne en interactivité, elle cesse d’être une représentation du réel pour devenir la forme d’exploration ludique ou scientifique d’un modèle numérique.

L’utopie a ainsi alimenté le secteur du jeu vidéo depuis sa création. Publié en 1981 par Mattel, Utopia se présente comme l’ancêtre de tous les jeux de simulation qui lui succèderont. Deux joueurs en compétition y développent chacun leur île, accroissant la population, développant son urbanisme. Si le graphisme reste encore simplifié, le jeu utilise déjà une forme sommaire d’intelligence artificielle. Par la suite, de nombreux jeux s’inspireront de ce concept de développement, selon des règles scénaristiques mettant en œuvre un ensemble de variables et de fonctions mathématiques pour définir ce que serait une société idéale, comme dans le célèbre Civilization (1991), un jeu construisant son récit depuis l’âge de pierre jusqu’à la conquête spatiale. Dans le sous-genre spécifique du God game , Black and White de Peter Molyneux (2001) propose au joueur de s’incarner en un dieu surpuissant, capable d’offrir bonheur et prospérité à ses sujets ou au contraire de détruire arbitrairement leurs réalisations. Dans ce registre vidéoludique, la forme dystopique est trop souvent réservée à des jeux d’action à la première personne. Elle sert de cadre apocalyptique à des missions individuelles basées sur la violence, ce qui en restreint la portée philosophique ou humaniste. Des œuvres comme Half-life 2 (2004) offrent d’éliminer un grand nombre d’ennemis en parcourant différents niveaux, le contexte sociétal étant relégué à une toile de fond décorative. Si le joueur est soumis à une oppression politique ou sociale, ce n’est qu’un prétexte pour exalter son individualisme et justifier son droit à éliminer et détruire ce qui fait obstacle à une vision manichéenne du bien.

Malgré les limites posées par le jeu vidéo comme support d’expression de la dystopie, se ressent pourtant la puissance d’évocation et la richesse des possibilités offertes par ce média. Comment une simulation numérique scénarisée peut-elle devenir le cadre d’une réflexion pertinente sur nos idéaux sociétaux et leurs conséquences ? Si l’on ouvre notre réflexion à de plus larges domaines, il apparaît évident que la simulation est devenue un outil privilégié de la recherche scientifique. La création de modèles numériques permet de déplacer le champ de l’expérimentation depuis des expériences physiques vers des simulations virtuelles. Grâce à l’emploi des mégadonnées, on a ainsi fait basculer dans le domaine de la simulation la météorologie, les réactions nucléaires, la conception aérodynamique, les tests financiers ou encore la résistance structurelle des ouvrages d’arts. Aujourd’hui, l’informatique quantique simule même le comportement des particules élémentaires dans le cadre de réactions chimiques, permettant de relier le comportement de la matière entre des disciplines scientifiques autrefois dotées de théories distinctes.

Il ne serait cependant pas raisonnable de reprendre l’ensemble des paramètres caractérisant une dystopie comme autant de variables ajustables dans le cadre d’une simulation. Les domaines abordés sont trop vastes pour que le projet s’avère réaliste : économie, architecture, urbanisme, écologie, sociologie, technologie. Pour chacun d’entre eux, le champ des possibles est immense, tandis que les simulations numériques actuelles se concentrent au contraire sur la résolution de problèmes précis nécessitant une forte quantité de calculs. Ce qui nous est en revanche accessible est la possibilité de faire interagir le public avec des données structurantes sélectionnées au préalable, d’établir une forme de scénario narratif en laissant la possibilité au visiteur de le pousser vers ses extrémités, de manière à rendre visible ce qui dans l’esprit reste de l’ordre des idéaux mais ne s’est pas matérialisé sous une forme concrète. Il s’agit non seulement de donner à voir, mais surtout de donner à réfléchir.

Thématiques pour une dystopie contemporaine

Notre proposition consiste à élaborer une simulation sociale et environnementale mettant en œuvre les points structurants des idéologies émergentes. Il s’agit donc en premier lieu de les identifier. Si notre époque tend particulièrement à masquer la dimension tragique de l’existence, elle est pourtant le théâtre de nombreuses catastrophes : l’Holocène, le réchauffement climatique et ses conséquences environnementales, les migrations humaines qui en résultent, la montée des populismes forment autant de drames qui obscurcissent notre capacité à nous projeter dans l’avenir et semblent converger vers une rupture civilisationnelle. Mais l’esprit humain a besoin d’espoir, une société ne se construit pas sans valeurs ni idéaux. Aujourd’hui, l’écologie, l’agriculture biologique, la bio-inspiration, le développement durable, la décroissance et le localisme sont autant de sujets capables de cristalliser ces idéaux.

Une dystopie ne pourrait néanmoins se contenter d’enfoncer des portes ouvertes, sous peine de voir sa portée critique amoindrie. Sa nature est prospective, elle ne cherche ni à inquiéter ni à rassurer. Examinons pour finir quelques marqueurs sociétaux contemporains susceptibles d’être conjugués au sein d’une fiction dystopique.

Cosmogonie scientifique

Là où la religion se caractérise par une attitude dogmatique et une absence de perspective d’évolution de ce dogme, la science procède au contraire par l’établissement de théories susceptibles d’être renversées par d’autres théories plus pertinentes, le seul juge restant l’expérience répétée et validée par des pairs. Depuis le début du XXe siècle, et l’avènement de la théorie de la relativité, la science atteint un niveau métaphysique la positionnant aussi comme un questionnement sur notre univers. La physique quantique, lorsqu’elle nous extrait d’un monde newtonien purement déterministe ne laissant aucune place à l’action d’un dieu, ramène avec un hasard authentique et irréductible un ensemble de questions sur la nature même du réel. Dès lors, de nombreux éléments semblent converger vers l’éclosion d’une nouvelle cosmogonie s’appuyant sur les hypothèses scientifiques issues de notre connaissance nouvelle des lois de l’univers : formes du temps et de l’espace, nature du big bang et existence d’univers parallèles à l’échelle macroscopique, mais aussi structures neuronales, composants d’un cerveau considéré comme la structure la plus complexe de l’univers connu, décodage et interprétation du génome des êtres vivants à l’échelle microscopique ou encore théorie de l’évolution à l’échelle humaine. Une telle recherche spirituelle, par nature évolutive, peut-elle échapper à la tentation sectaire des pseudosciences, comme le montre un mysticisme quantique basé sur des interprétations spéculatives et erronées de la théorie scientifique ?

Transhumanisme

La capacité à contrôler les naissances, héritière de l’eugénisme, et le désir de modifier le vivant ont déjà été abordés dans de nombreuses fictions dystopiques. Notre époque y ajoute, avec le transhumanisme, une confusion sur la nature même du vivant. L’idée d’une « singularité », un point temporel à partir duquel une intelligence artificielle supplantera les capacités humaines, que l’on annonce très proche, et l’espoir de transférer complètement un humain dans le réseau informatique mondial pour le rendre éternel et omniscient forment deux marqueurs dont nous ne savons pas distinctement s’ils constituent un futur possible ou le fruit d’une idéologie malsaine et déréglée. Si l’homme augmenté est une hypothèse prenant corps avec chaque progrès de la science, la nature même de notre conscience ne saurait se résumer à un simple cerveau convertible en données, celui-ci restant inextricablement imbriqué avec l’ensemble des terminaisons nerveuses et physiques de notre corps. L’objectif du transhumanisme, une forme de vie éternelle, ne ramène t-il pas aux mythologies les plus anciennes, comme celle incarnée par Icare, annonçant par son refus d’une nature humaine transitoire une chute inévitable ?

Dérivé de l’ontologie, l’animalisme élargit sa dimension morale au-delà de l’humanisme à l’ensemble du règne animal. Une de ses composants les plus récents, l’anti-spécisme, refuse la catégorisation des espèces animales selon des critères arbitraires établis en fonction des intérêts propres au genre humain, attitude relevant selon elle d’un anthropocentrisme responsable de la destruction du vivant. L’Holocène en cours, c’est-à-dire la disparition rapide et inédite de la majorité des espèces répertoriées sous l’action de l’activité humaine, donne à cette philosophie une force s’exprimant à travers un militantisme radical déstabilisant de nombreux aspects traditionnels propres à notre société : alimentation, élevage, agriculture, rapport au monde sauvage, développement urbain. Est-il possible pour notre espèce de redéfinir sa nature profonde, au-delà de la simple nécessité écologique de mettre un terme à l’élevage industriel ? Est-il possible de construire une altérité avec des formes de conscience animales qui ne sont pas semblables à la nôtre ? Une telle utopie, sorte de jardin d’Éden retrouvé, chassera-t-elle à nouveau Adam et Ève du paradis ?

Bio-inspiration

Le génie humain est né d’une observation attentive du monde réel, que ce soit la nature ou les lois physiques sous-jacentes à son existence. Pourtant, les avancées technologiques, reposant sur une application abstraite de sciences comme la physique, la thermodynamique ou la chimie, ont délaissé les notions d’écosystème et d’interdépendance au profit d’une exploitation de ressources considérées comme illimitées. Ce début de XXIe siècle marque un retour brutal à la réalité dans lequel l’être humain comprend enfin la complexité et la fragilité de la planète qu’il habite. L’évolution des espèces végétales et animales et les solutions qu’elles ont déployé pour s’adapter à leur environnement nous offrent un modèle de développement harmonieux qui influence aujourd’hui l’architecture, le design et l’agriculture. La bio-inspiration rompt en apparence avec une modernité toute puissante, mais peut aussi devenir une simple esthétique justifiant la continuation d’une croissance industrielle destructrice. Sera-t-elle capable de modifier en profondeur la manière dont nous produisons et consommons, ou constitue-t-elle la dernière tentative que nous entreprenons pour masquer notre addiction à la consommation à outrance ?

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Artiste et réalisateur multimédia. Diplomé de l’ENSAD Paris, réalisateur dans le domaine du motion design, il ouvre en parallèle sa pratique aux technologies numériques temps réel à travers la création de dispositifs muséographiques et artistiques. Il est co-fondateur de la société Active Creative Design.

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L'impact et le rôle de l'utopie dans les sociétés

Dissertation - 16 pages - sociologie & sciences sociales.

A quoi sert l'utopie ? Quelle est son rôle et son impact dans le fonctionnement des sociétés ? Est-elle positive ou dangereuse ? Si de prime abord il semble que l'utopie puisse conduire à tout et son contraire, en réalité, si elle peut amener à la ruine des sociétés, la...

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Commentaire de texte - 4 pages - littérature.

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Thomas More, "Utopie"

Commentaire de texte - 2 pages - littérature.

Dans ce passage, More par l'intermédiaire de son personnage, présente au lecteur sa vision de la cité idéale tant par sa situation que par sa conception (phrase introductive de l'axe 1) C'est tout d'abord dans un cadre idéal qu'est érigée la ville d'Amaurote. Comme toutes...

More, "L'Utopie" , "Des arts et métiers" (Livre II)

Commentaire de texte - 3 pages - littérature.

Commentaire composé semi-rédigé de l'extrait Des arts et métiers tiré de "L'Utopie" de Thomas More.

L'Utopie (Utopia) - Thomas More, 1516

Érasme est un ami de More. Ce dernier explique qu'il écrit L'Utopie pour faire diptyque avec l'Éloge de la folie. Cerner les spécificités de cet éloge original, écrit semble-t-il chez More lui-même, permet d'éclairer quelques-uns des enjeux de l'oeuvre de Thomas More. L'homme Érasme...

More, "L'Utopie" , "Chacun est libre"

Brève explication du texte (niveau Lycée) Chacun est libre tiré de l'oeuvre de Thomas More "L'Utopie" . Quelle est la visée argumentative de ce texte ? Quelle est la portée de cette utopie ?

Marinaleda, une utopie réalisée

Fiche - 1 pages - géographie monde.

Située en Andalousie, dans le sud de l'Espagne, Marinaleda est une petite ville d'environ 3000 habitants pour une surface de 25 kilomètres carrés. Avant 1977, la situation globale de la ville était déplorable : aucune infrastructure administrative, des logements laissés à l'abandon,...

Quelle est, selon vous, la fonction principale de l'utopie: faire rêver ou faire réfléchir?

Dissertation - 5 pages - philosophie.

L'utopie est un terme créé au 16ème siècle par Thomas More, philosophe humaniste et homme politique anglais de la Renaissance. Du grec ou-topos : "lieu qui n'existe pas", et eu-topos, "lieu où tout est bien", l'utopie est un récit représentant un monde idéal, situé à...

Les caractéristiques de l'utopie moderne

Dissertation - 1 pages - philosophie.

Les utopies au XIXe siècle sont nombreuses, notamment celles qui appartiennent au courant du socialisme utopique Des « utopies » anciennes Les Anciens imaginent des sociétés parfaites. Aristophane, grec, IVe siècle avant J.-C, dans L'Assemblée des femmes, invente une société...

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COMMENTS

  1. Bac français : les utopies dans la littérature

    Aujourd'hui, dans le langage courant, « utopique » veut dire impossible. En effet, une utopie est une chimère, c'est-à-dire une construction purement imaginaire dont la réalisation est, a priori, hors de notre portée. Or, paradoxalement, les auteurs qui ont créé le mot, puis illustré le genre littéraire inventé par Thomas More en ...

  2. Cours 2° : Utopie, dystopie, uchronie

    Objet d'étude : Les genres de l'argumentation. 1-Petite histoire de l'argumentation. 2- Les genres de l'argumentation. 3- L'art d'analyser un texte argumentatif. 4- Le vocabulaire de l'argumentation. 5- Cours Utopie, Dystopie, Uchronie. 6- Mouvement : Les Lumières.

  3. L'Utopie : caractéristiques et exemples d'œuvres utopiques

    L'Utopie : caractéristiques et exemples d'œuvres utopiques. Bac. Affichages : 35019. L'usage courant donne au mot « utopie » une acception très pauvre, péjorative ; c'est un synonyme de « chimère », « illusion ». Mais l'utopie est d'abord une écriture spécifique dont la portée est triple, littéraire, philosophique, politique.

  4. Entre utopie et dystopie : des idées lectures pour penser un monde

    L'utopie et la dystopie prennent en compte ce qu'on appelle "un horizon d'attente", en fonction de l'époque dans laquelle on se situe, c'est-à-dire que chaque époque pense son idéal en fonction des enjeux sociétaux qui la préoccupent. Quand le genre utopique essaie de mettre en fiction ce projet d'un monde idéal (qui n'existe pas mais ...

  5. Thomas More

    L'utopie (lieu qui n'existe pas ou lieu de bonheur), mise en avant par Thomas More, permet de décrire un nouveau monde qui rompt avec les imperfections de la société anglaise de l'époque. L'ile repose sur l'égalité, l'engagement, le respect et la sagesse épicurienne, qui permettent à tous les habitants de vivre harmonieusement.

  6. L'UTOPIE

    L'utopie est un genre littéraire, aujourd'hui lié à la science-fiction. Le mot "utopie" est créé en 1516 par l'auteur anglais Thomas More qui intitule ainsi son ouvrage. L'étymologie du mot vient du grec u- (privatif)topos (lieu) c'est-à-dire un lieu qui n'existe pas.

  7. PDF L'utopie : voyage au pays de « Nulle Part

    UTOPIE: Construction imaginaire d'une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un contre-idéal. Surlignez, dans cette définition, les mots qui paraissent les plus importants. Etymologie : U / TOPIE Du grec « ou » : nulle part Du grec « topos » : le lieu . séance ...

  8. L'utopie ou la nécessité des écarts entre l'idéal et la réalité

    Les utopies ont accompagné la modernité. Mais l'expérience du totalitarisme les a largement discréditées et assimilées à des discours maximalistes et potentiellement terroristes. Pourtant, il a existé des utopies très différentes : certaines ont prétendu conquérir la totalité et ont inspiré des pratiques de nature totalitaire, d'autres au contraire ont préservé le principe ...

  9. L'utopie et ses conditions techniques

    C'est pourquoi « la première requête de l'utopie est l'abondance matérielle permettant de satisfaire les besoins de tous ; la seconde : la facilité de s'approprier cette abondance » [2] [2] Ibid.. « Or l'un et l'autre, la disponibilité de l'abondance et l'aisance d'en disposer, la technique encore plus poussée peut ...

  10. Écrire une utopie ou une dystopie

    Définissez les conditions et les contraintes nécessaires à l'invention d'une dystopie ou d'une utopie. Pour cela, reprenez les textes du corpus et faites la liste des éléments qui font de ces textes des utopies ou des dystopies. Choisissez ce qui vous semble intéressant pour votre sujet.

  11. Les Utopies sociales ou la tentation des possibles

    29 Ainsi, les lignes de fuite courent, traversent et percent les territoires du genre et des registres - non pour les réfuter, mais pour libérer leur énergie, leur force vitale. Les utopies sociales sont une écriture transgenre. Fables, romans, contes, essais, dialogues, lettres, poèmes, pamphlets, récits, traités.

  12. Présentation

    L'utopie présente souvent une bonne dose de pessimisme face à un réel qui ne satisfait pas les attentes. D'un autre côté, on peut voir la dystopie 1 comme un espoir d'éviter le pire. Tel un avertissement, il s'agit le plus souvent de projeter dans l'avenir, en les amplifiant, les défauts d'une société perfectible.

  13. Utopie et Dystopie, expressions critiques du réel

    La notion de dystopie, étymologiquement un « lieu négatif », apparaît plus tardivement au XIXe siècle, toujours en Angleterre. La dystopie est la réalisation de l'utopie au sein d'une société et devient le prétexte à l'observation du dysfonctionnement de cette utopie, sa mise à l'épreuve des faits. Elle en révèle les ...

  14. DYSTOPIES

    Une introduction à la dystopie. La dystopie est un genre littéraire très ancien, proche de l'Utopie ( Thomas More, 1516), dont elle constitue la face négative. Contre-utopie, la dystopie moderne existe déjà avec le poète italien Tommaso Campanella qui décrit dans « La cité du soleil » (1602) une société idéale alliant contrôle ...

  15. Conceptualisation de l'Utopie: critique, compossibilité et utopilogie

    Conceptualisation de l'Utopie: critique, compossibilité et utopilogie. Marie-Ange Cossette-Trudel To cite this version: Marie-Ange Cossette-Trudel. Conceptualisation de l'Utopie: critique, compossibilité et utopilogie.. Philosophie. Université de Franche-Comté, 2014. Français. �NNT: 2014BESA1027�. �tel-01250359�

  16. Documents, fiches et dissertations au sujet de Utopie

    Les caractéristiques de l'utopie moderne Dissertation - 1 pages - Philosophie. Les utopies au XIXe siècle sont nombreuses, notamment celles qui appartiennent au courant du socialisme utopique Des « utopies » anciennes Les Anciens imaginent des sociétés parfaites. Aristophane, grec, IVe siècle avant J.-C, dans L'Assemblée des femmes ...

  17. Utopia and dystopia

    D'ailleurs, il y a déjà une fiche sur les utopies pour l'enseignement commun juste ici avec d'autres exemples pour être incollable sur le sujet ! Definition of utopia and dystopia The term utopia was first used by the British writer Thomas More in his book of fiction Utopia in the 16th century.

  18. Exemple Dissertation Utopie

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